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Il serait impossible de décrire avec des paroles la bravoure de ce virtuose merveilleux, qui est le premier de l’Europe. C’est un prestidigitateur qui réalise les plus grandes difficultés avec un calme qui double le plaisir et l’étonnement. Il chante admirablement ; il pleure, il rit avec un naturel qu’on ne saurait trop admirer, et il joint à ces qualités précieuses une justesse irréprochable et une sonorité que les Italiens seuls possèdent. Aussi à peine avait-il frappé le dernier accord que la salle tout entière éclata en applaudissemens frénétiques. Je n’ai jamais vu un pareil spectacle de trois mille spectateurs frappant sur leurs mains comme une armée disciplinée. Sivori a été rappelé quatre fois, et on lui a demandé de recommencer. Il s’est soumis au désir du public ; mais, après quelques mesures, on a senti qu’il jouait un nouveau morceau qui était une partie de l’œuvre de Paganini. On l’a encore accompagné par de vifs applaudissemens qui n’ont cessé qu’à la disparition du virtuose merveilleux.

Ce n’est pas avec le même enthousiasme qu’un violoniste allemand, M. Beeker, a été accueilli au deuxième concert spirituel du Conservatoire, où il a abordé témérairement le concerto de Beethoven. M. Beeker, qui est de Manheim, est venu à Paris il y a quelques années. Il a donné plusieurs séances dans les salons d’Érard, où il a fait preuve d’un talent hardi et varié. Lorsque je vis le nom de M. Beeker sur les affiches de la Société des Concerts, j’espérais qu’il aurait fait des progrès depuis que je ne l’avais entendu. Hélas ! que j’ai été désabusé ! Ce virtuose a perdu la tête, il a succombé sous le poids d’une composition qui dépasse son talent de cent coudées. M. Beeker a un petit style, des sons maigres, et dans le fameux point d’orgue il ne savait plus comment s’en tirer. Le public, qui restait calme devant ce spectacle d’un artiste qui succombe, s’est réveillé tout à coup pour réprimer des applaudissemens qui partaient de ce groupe de prétendus amis qui sont la plaie des théâtres et de toutes les représentations publiques. La leçon a été bonne, surtout pour le comité de la société, qui a grand besoin qu’on le surveille, car il ne se distingue pas par l’activité. Malgré le désastre de M. Beeker, malgré un chœur de M. Gounod, Ave verum, malgré la vieille niaiserie antique O filii de Leisring qu’on reproduit tous les ans, le concert a été brillant. L’ouverture de Zampa surtout, ce chef-d’œuvre d’un vrai génie, a été exécutée avec une précision et une fougue admirables. La salle a éclaté en cris d’enthousiasme et a rendu hommage au compositeur le plus charmant qu’ait produit la France. L’ombre d’Hérold heureusement n’a point été troublée par ces éloges excessifs qui blessent la raison et la conscience publique.

Un mot maintenant sur les deux concerts spirituels qui ont été donnés au Théâtre-Italien le vendredi saint et le jour de Pâques. Le programme contenait le Stabat de Pergolèse, des fragmens d’Haydn, et le Stabat de Rossini. Les chanteurs sont trop de notre temps pour avoir compris le style de Pergolèse, ils ont été plus habiles à rendre les beautés du Stabat de Ros-