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principe moderne, la neutralité en matière de dogme. Les personnes et les opinions des orateurs n’appartiennent point à notre contrôle, puisque nous ne pourrions essayer de juger les unes et d’apprécier les autres sans nous exposer au péril d’un compte-rendu illicite ; mais le fait capital de cette discussion subsiste : des chefs de l’église catholique et à leur suite des catholiques laïques s’obstinent à ne point vouloir comprendre où finissent en matière religieuse les droits de l’état et où commencent les droits de la conscience. L’état doit aux cultes sa protection contre l’injure et l’outrage, et non contre les dissidences religieuses ou scientifiques. L’état vis-à-vis de ces dissidences n’a aucun droit d’intervention, non, comme on le disait autrefois avec amertume, que l’état professe l’indifférence à l’égard des religions, non qu’il soit athée : l’état est tout simplement incompétent. Le royaume de Dieu n’est pas de ce monde, les sanctions des croyances religieuses prennent l’homme à partir de la tombe ; le royaume de l’état n’est que de ce monde, ses sanctions ne suivent l’homme que jusqu’à la tombe. La puissance politique agissant au profit d’une croyance religieuse contre une autre croyance et une autre doctrine ne pourrait que faire acte d’intolérance, de persécution, d’injustice, puisqu’elle envahirait sans compétence et sans discernement le domaine de la conscience individuelle. Quand une croyance religieuse dénonce dans une doctrine qui nie ses dogmes une attaque dirigée contre elle, c’est son affaire de se défendre par la controverse, par l’évocation du sentiment religieux, par les moyens spirituels et moraux dont elle dispose ; à moins de prétendre à dominer l’état, elle ne saurait l’appeler à son secours que contre l’insulte. Si un cardinal faisait partie d’une assemblée politique dans un pays jouissant de la plénitude de la liberté religieuse, aux États-Unis par exemple, jamais il ne pourrait lui venir à l’esprit d’émettre des réclamations semblables à celles que le sénat français a entendues. Comment arrive-t-il donc que malgré l’œuvre accomplie par la révolution française, malgré les principes de notre droit, malgré l’admirable clarté avec laquelle la limite des deux souverainetés et des deux compétences a été tracée par M. Royer-Collard dans son discours sur la loi du sacrilège, l’église en France maintienne des prétentions si blessantes pour la société moderne ? Peut-être n’est-elle point seule coupable d’un aveuglement si obstiné et si compromettant pour elle. Le mal vient de la situation illogique de notre organisation des cultes reconnus et salariés par l’état. L’intervention de l’état dans la reconnaissance et dans le salaire des cultes est la cause de la méprise de l’église. De ce qu’elle est reconnue, l’église est toujours portée à se figurer que la vérité de ses dogmes est acceptée par l’état. Cette situation et le malentendu qui en découle sans cesse sont, à notre avis, funestes à la religion et à la science, funestes aux âmes. Dans cette situation, les âmes ne trouvent point à se classer dans la diversité naturelle et vivante des formes religieuses. Tout ce qui est perdu pour la foi catholique est également perdu pour la reli-