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loppent dans les campagnes, que les chemins de fer et les fils électriques arrivent jusqu’aux derniers confins de la France et de l’Europe, ce seront de grands biens sans doute. Est-ce là cependant tout le progrès? S’il n’était que cela, il n’enflammerait pas tant d’esprits généreux, toujours occupés à en rechercher les lois et les conditions;, il perdrait la signification qu’il a pour les intelligences viriles, — celle de l’élévation graduée du niveau moral parmi les hommes, du développement de la justice parmi les peuples, de la prédominance croissante du droit sur la force. Il n’y a plus de doute alors, le chiffre de la production et de la consommation est la mesure du progrès! M. Edmond About, de sa plume preste et tranchante, a révélé lui-même la faiblesse de son ouvrage en disant : « Vous remarquerez peut-être, si vous lisez ce livre jusqu’au bout, que j’évite le mot devoir, quoiqu’il soit très sonore, très clair et très noble. C’est que je me suis interdit la plus furtive excursion dans la métaphysique. » Voilà le devoir exilé dans la métaphysique, dans le domaine des choses non démontrées ! Toute une partie morale de la civilisation disparaît comme une excroissance inutile, et c’est ainsi que cette liberté même, qui est l’idée-mère du livre de M. About, — puisque c’est par la liberté, par l’émancipation de l’initiative individuelle que l’auteur de Tolla cherche le progrès, — c’est ainsi que cette liberté devient un fait subalterne, matériel, un moyen de dégager le bien-être universel, de tirer le meilleur parti possible « d’une humble condition et d’une courte vie, » C’est ainsi en même temps que cette œuvre sur le progrès est un mélange singulier où circulent une multitude d’idées justes ingénieusement mises en lumière, et où l’ensemble est indigeste et confus. Dans cette carrière où il prodigue une impatiente activité, et où il sème les fruits de son imagination, M. Edmond About a trouvé déjà plus d’une mésaventure, sans compter le demi-succès qui attend vraisemblablement le Progrès. Jeune, hardi, gai, aimant l’aventure, il n’a pas toujours réussi auprès de la jeunesse elle-même, et il ne s’est pas demandé d’où lui venaient ces soudaines bourrasques d’impopularité littéraire. Il y a eu bien des causes peut-être; il y en a une qui tient au talent de l’auteur du Roi des Montagnes: c’est qu’avec de la netteté, de la sûreté et de la verve, il n’a pas ce qui attire, ce qui popularise un écrivain se servant de l’imagination pour répandre une idée sérieuse. Son talent pétille sans éclairer et sans échauffer; il s’agite sans émouvoir, parce qu’il a plus d’habileté, de subtilité et de sécheresse que de passion et d’élan. Avec ses éclats d’ironie, ses saillies étincelantes, c’est un esprit d’un ordre moyen, de l’ordre positif, comme il le dit, un esprit qui aime le succès, qui le cherche sous toutes les formes, et qui, après l’avoir vu fuir au