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nime, comment se serait-il conduit dans ces circonstances et dans les occasions si nombreuses où il ne refusa pas sa signature? Il n’eut pas agi autrement qu’il n’a fait….. Si une telle réhabilitation est acceptée, il ne faut plus parler de morale politique. » Poursuivons encore : certes Napoléon a surchargé la France de grandeur et de gloire au point de fasciner les regards du monde, et cependant ni gloire, ni grandeur, ni éblouissemens, ni prodiges du génie ne suffisent à absoudre dans l’histoire des actes comme l’exécution du duc d’Enghien et la guerre d’Espagne. Il n’est point de résolution humaine, si protégée qu’elle soit par les prestiges du génie, par les complaisantes nécessités d’état ou par une prétendue fatalité, qui ne vienne se heurter contre une puissance supérieure devant laquelle elle reprend son vrai caractère; cette puissance, c’est la loi morale. C’est là une vieille histoire, direz-vous; nous n’avons plus rien à voir dans le passé, occupons-nous de nos propres affaires et de notre vie présente. — Détrompez-vous : ce sont vos affaires plus que vous ne le pensez. Vous êtes-vous jamais demandé ce que les excès, les violences, les entraînemens d’arbitraire, les attentats contre le droit d’un homme ou d’un peuple ont jeté dans notre vie de troubles et d’obstacles contre lesquels nous nous débattons encore sans en soupçonner souvent la nature et les causes? Juger pour ce qu’elles sont ces scandaleuses violations de la loi morale dans l’histoire, c’est apprendre à ne plus les subir. M. Lanfrey, et c’est son mérite, a un instinct très haut, très fier, presque intraitable, de cette moralité, en dehors de laquelle la force et le hasard, de quelque nom qu’ils se déguisent, sont les dangereux maîtres des hommes.

Il y a chez l’auteur des Etudes et Portraits un autre sentiment profond et vif qui trouve son complément et sa règle dans cet instinct de la moralité dans l’histoire et dans la politique : c’est le goût, l’intelligence de la liberté, et ce n’est pas sans raison que M. Lanfrey dit dans une page qui ouvre ses essais : « Je n’ai pas été sans payer aussi mon tribut au goût de notre génération pour les apologies. Ces travaux, de ton et de sujets si divers, ont tous été écrits à la louange d’un seul et même personnage. Par lui, ce livre a son unité ni plus ni moins qu’une fiction, car chacun de ces fragmens ne reflète qu’une seule image, et par lui j’aurai eu, moi aussi, mon héros! Mon héros, c’est la liberté... » Il faut s’entendre sur ce mot, qu’il est de bon air d’invoquer, que tout le monde met sur son drapeau, car il est bien clair aujourd’hui que tout le monde n’aime et ne veut que la liberté, même ceux qui la tiendraient éternellement en lisière dans la prévoyante pensée de la préserver des faux pas. Ce que j’appelle le goût sérieux et réfléchi de la liberté, c’est le sentiment des conditions nécessaires sans lesquelles il n’y a point