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beuf, le publiciste Marat, Péthion roi de Paris, qu’il a cru vaguement reconnaître l’accent de Vergniaud, le geste de Danton, la sentimentalité et les conceptions étroites de Robespierre. Lorsque s’est élevée plus récemment cette autre grande question de la papauté temporelle qui s’agite encore et dont la solution est, à ce qu’il semble, plus facile à entrevoir dans la théorie que dans la pratique, M. Lanfrey a écrit une Histoire politique des papes. Je ne parle pas d’un livre qui est une sorte de roman de philosophie ou d’observation morale, de certaines Lettres à Everard, méditations d’une couleur un peu sombre et d’un pessimisme parfois un peu extrême.

C’est dans cette suite de travaux que s’est formé un talent nerveux et habile, dont le dernier et le meilleur fruit est sans nul doute ce livre d’Études et Portraits, aussi substantiel de pensée que brillant de forme. Ce n’est pas que dans ces divers essais qui analysent, qui jugent des livres éminens tels que l’Histoire du Consulat et de l’Empire, ou qui font revivre certaines figures telles que Carnot, Armand Carrel, Daunou, M. Lanfrey recherche le pittoresque, l’éclat des descriptions ou la finesse nuancée des dissertations psychologiques. Sa forme naturelle est celle de la discussion philosophique et politique ; mais c’est une discussion animée, pleine de feu et de verve, hardie dans ses procédés et ses déductions, et c’est de la condensation des traits, de l’analyse morale que l’auteur fait jaillir la vérité d’une époque ou d’une figure. Tout ce qui est détail, anecdote, particularité intime, disparaît dans ce que j’appellerai le drame des opinions ou l’anatomie philosophique des événemens. Par la nature des sujets qui passent devant lui, qu’il touche à l’empire avec M. Thiers, à la révolution avec Carnot, à la monarchie de juillet avec Armand Carrel, à des questions plus récentes avec M. Guizot ou M. Proudhon, M. Lanfrey se trouve conduit à envisager presque tout entier, du moins dans ses phases critiques et décisives, le cours de l’histoire contemporaine depuis les grandes dates de la fin du dernier siècle. Parmi ces études, toutes n’ont pas sans doute un égal intérêt ; il en est qui ne sont que des fragmens de polémique relevés de la poussière des combats d’hier ; d’autres, comme celle sur Armand Carrel, sont des études d’une large et supérieure critique, d’une fermeté et d’une élévation singulières, et dans son ensemble ce livre est certainement un de ceux qui décrivent avec le plus d’animation saisissante, non les vicissitudes et les accidens dramatiques, mais le sens général de l’histoire de notre temps.

L’auteur des Études et Portraits politiques n’est point un historien, disais-je, quoiqu’il s’attache à saisir le caractère des événemens et que son regard ne se détourne pas de cette réalité vivante ;