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tions ingrates, de ce travail qui fait que, le jour où l’instinct public se réveille, il se trouve des talens variés, habiles, prêts à reprendre l’œuvre en apparence interrompue, remuant à leur tour les problèmes de la science, de l’histoire, de la philosophie, de la politique, auxquels le monde ne cesse un instant de s’intéresser que pour y revenir bientôt avec une ardeur plus vive.

Que cette littérature, qui est aujourd’hui en voie de formation, ait déjà ses caractères et ses mœurs où les influences du temps ont laissé leur empreinte, que chez ceux qui aspirent à entrer dans ces légions nouvelles ou qui en sont les héros il y ait parfois un mélange d’indécision et d’audace, parfois de la présomption, du scepticisme et une certaine crudité intempérante de pensée ou d’observation, ce n’est point peut-être un phénomène extraordinaire dans une société momentanément alanguie et livrée à toutes les inspirations positives. Il y a aussi sans nul doute des esprits sérieusement doués et ouverts à une inspiration morale supérieure. M. Lanfrey est un des jeunes représentans de ces générations qui s’élèvent, et c’est justement parce qu’il a en quelque sorte le tourment de cet idéal dont je parlais, parce qu’il prend au sérieux le rôle intellectuel de la génération à laquelle il appartient, que l’auteur des Etudes et Portraits politiques est un des jeunes écrivains les mieux faits pour être les témoins de leur temps. Ce n’est point un nouveau venu d’hier; il a déjà fait plus d’une tentative ou livré plus d’un combat dans cette carrière de l’homme studieux et réfléchi à la recherche de la vérité dans l’histoire comme dans la politique. Un des traits de son esprit, c’est l’ardeur résolue de la conviction, la netteté vigoureuse et indépendante de la pensée. M. Lanfrey a commencé il y a bientôt dix ans, si je ne me trompe, par une étude sur l’Église et les Philosophes au dix-huitième siècle[1], une œuvre d’histoire passionnée où il y avait une certaine âpreté de jeunesse, une verve impétueuse dans l’interprétation et la défense des idées du dernier siècle. Lui aussi, comme bien d’autres, avant de s’engager plus avant dans les luttes de notre époque, il a voulu remonter à la grande source d’où tout découle, le bien et le mal, et après bien d’autres il a écrit un Essai sur la révolution française. Ce n’est point une œuvre d’historien, c’est un exposé des dogmes, des idées, des conquêtes définitives de la révolution française, et en évoquant ce redoutable passé l’auteur ne cache pas qu’il y cherche l’éclaircissement des mystérieux problèmes qui nous divisent encore, qu’il a toujours le regard tourné vers le temps présent. En entrant dans cette étude, il se souvient qu’il a coudoyé le tribun Gracchus Ba-

  1. Voyez sur ce livre la Revue du 15 mai 1855.