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rien : le spectacle de cette fin misérable d’une destinée mêlée à la sienne dut le toucher ; d’ailleurs

…… Il est aisé de plaindre
Le sort d’un ennemi quand il n’est plus à craindre.


César fit brûler la tête avec des parfums et ordonna que les cendres fussent placées dans un sanctuaire élevé par lui, devant la porte d’Alexandrie, à Némésis, la déesse inexorable qui abat toutes les grandeurs et qui devait bientôt abattre la sienne. En Égypte, des mains pieuses, celles de l’affranchi Philippe et d’un ancien questeur de Pompée, avaient construit pour ce qui restait de son cadavre, qu’ils brûlèrent après l’avoir retiré du Nil, où il avait été jeté, un petit monument sur lequel on traça cette épitaphe : « pour celui qui avait des temples, quel pauvre tombeau ! » C’est de là que Cornélie avait apporté les os de son époux dans le magnifique sépulcre d’Albano. Pompée vint donc reposer près de cette villa où il était allé si souvent chercher un asile contre les agitations de Rome, porter ses rêves ambitieux et ses éternelles incertitudes. Il avait désiré que les cendres de Julia y fussent déposées ; mais le peuple les avait mises au Champ-de-Mars, dans la tombe des Jules : pour le peuple, elle était moins la femme de Pompée que la fille de César. Aujourd’hui, dans le tombeau destiné à Julia, une autre épouse déposait les restes de Pompée.

Pour Caton, aucun monument ne rappelle à Rome cette mort admirable, ce suicide que Dante, le grand poète catholique, n’a pas osé condamner, accompli avec un calme, une sérénité, une douceur qui élève l’âme et l’attendrit. Ce suicide fut cependant une erreur ; tout n’était pas perdu par la prise d’Utique. L’Espagne et une armée restaient aux fils de Pompée ; César, victorieux et tout-puissant, se crut obligé d’aller en personne les soumettre. Dans cette dernière lutte, la victoire et la vie faillirent lui échapper. Caton aurait dû être là ; mais il avait cru la liberté anéantie et l’avènement du pouvoir d’un seul établi sans retour. Il faut tâcher de comprendre que pour une âme fière comme la sienne c’était la dernière des hontes ; il n’avait pas voulu la voir. Après avoir tout disposé pour la fuite de ses amis et s’être occupé d’eux jusqu’au dernier instant, au sortir d’un souper rempli par de graves et calmes entretiens, il s’était retiré dans sa chambre, avait lu le Phédon, s’était endormi jusqu’à l’aube et alors s’était tranquillement percé de son épée ; puis, ses amis et son fils étant accourus, l’ayant trouvé encore vivant et voulant le secourir, il avait déchiré ses entrailles et l’appareil mis sur sa blessure, sans emportement, mais parce que, Rome recevant un maître, il avait résolu de ne plus vivre. Tout cela s’était passé dans une petite ville d’Afrique ; mais il n’y a rien de plus romain dans