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jeux, les gens honnêtes y enregistrent les intérêts payés de leur argent ! » Enfin il se décida, par point d’honneur, à rejoindre Pompée avec la conviction qu’il courait à sa perte.

Dans le camp de Pompée, il trouva une apparence de Rome : les consuls, la majorité des sénateurs, un grand nombre de chevaliers, les envoyés de diverses villes de Grèce et d’Asie. Plusieurs de ces rois dont on voyait toujours quelques-uns à Rome complétaient la ressemblance, et Pompée pouvait croire, comme il le crut en effet, que Rome l’avait suivi. Le camp de Pompée était le refuge de l’émigration républicaine ; on y trouvait toutes les illusions des émigrés : César allait être abandonné de ses troupes, bientôt réduites à mourir de faim ! On se donnait des airs de Sylla et on se répandait en menaces à exécuter quand on serait revenu à Rome ; on s’y croyait presque déjà. Les pompéiens, qui transportaient dans leurs tentes de Pharsale les recherches de la vie élégante de Rome, espéraient les y retrouver bientôt ; sûrs de la victoire, ils couronnaient leurs tentes de lauriers et par avance faisaient louer des maisons dans le beau quartier, se partageaient les dignités de la république, se disputaient le titre de grand-pontife porté par César, dont Lentulus s’adjugeait par avance les jardins et les villas ; il y joignait la maison d’Hortensius, et disposait même de celle du prudent Atticus. Cicéron, mal vu pour sa lenteur à rejoindre son parti, ne jouant aucun rôle dans la guerre, reportait aussi, mais plus tristement, sa pensée vers Rome, où ses affaires étaient comme toujours assez dérangées, où ses créanciers devenaient importuns, où il ne trouvait personne qui voulût acheter ses terres, où sa fille, ruinée par un époux prodigue, était dans la gêne, où il craignait toujours que sa chère maison et ses chères villas ne fussent confisquées.

Je n’ai pas à raconter cette campagne d’Épire et de Thessalie dans laquelle César, battu d’abord à Dyrrachium, sut tirer parti de ce revers en le pardonnant à ses soldats et en leur faisant attendre comme une grâce l’occasion de le réparer, — dans laquelle Pompée, plein tout à la fois de confiance et d’irrésolution, quand son plan était d’affamer et de lasser l’armée de son ennemi, se laissa entraîner à une bataille qui fut la mémorable défaite de Pharsale. Pompée était vaincu et avec lui toute chance de liberté détruite : non que ses intentions fussent meilleures que celles de César, lui aussi voulait la toute-puissance ; seulement il attendait toujours qu’on la lui offrît, et César attendait le jour où il pourrait la prendre. Pompée, grand général si l’on veut, mais pauvre politique et mauvais citoyen, était cependant le dernier espoir et comme le dernier asile de la république. Il eût sans doute cherché à la détruire, s’il eût triomphé : il rêvait la dictature de son maître Sylla ; mais son inhabileté eût