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de confiance et de découragement, a peint la politique de Pompée en deux mots : « timidité et confusion<ref> « Nihil esse timidius constat, nihil perturbatius. » (Ad Att., VII, 13.) </<ref>, » et l’état de Rome en disant : « Tout est plein de terreur et d’aveuglement<ref> « Plena timoris et erroris omnia » (ibid., 12). L’aveuglement de Cicéron lui-même, hélas ! était bien grand, car il se flattait encore de jouer le rôle de conciliateur, et demandait à Atticus de lui envoyer le livre de Démétrius Magnès sur la Concorde pour y chercher des argumens. (Ad Att., VIII, 12.) </<ref>. » Il y a de ces momens pour les peuples.

Sans attendre César, qui était encore loin, Pompée déclara le siège du gouvernement transporté à Capoue, et, sur un faux bruit de l’approche de César, quitta précipitamment Rome avec les deux consuls et toutes les autorités, sans prendre le temps d’emporter le trésor. Rome est livrée à elle-même et dans une situation où elle ne s’était jamais vue jusque-là ; Cicéron a justement appelé ce départ, auquel il tenta de s’opposer, une fuite très honteuse : fugam ab urbe turpissimum. Les inquiétudes de ceux qui demeuraient étaient affreuses, le désespoir de ceux qui s’éloignaient fut profond ; pendant toute la nuit, ils errèrent tumultueusement dans la ville ; le matin, ils allèrent dans les temples, invoquant les dieux, les priant, baisant le pavé (on se croit dans la Rome de nos jours) et pleurant leur patrie, qu’il fallait quitter. « Il y eut beaucoup de larmes aux portes, dit Dion Cassius ; les uns s’embrassaient et saluaient Rome encore une fois, les autres pleuraient sur eux-mêmes et mêlaient leurs prières à celles de leurs amis qui partaient ; on criait à la trahison et on en maudissait les auteurs. Vous eussiez dit deux villes et deux peuples, l’un en marche et en fuite, l’autre abandonné qui restait pour mourir. »

César laissa Rome sur sa droite, et, suivant la côte, alla chercher Pompée à Brindes. Pompée ne l’attendit pas et passa en Épire, où César, qui n’avait point de vaisseaux sous la main et ne voulait pas que l’armée d’Espagne pût menacer la Gaule et l’Italie, s’abstint de le suivre : il jugea plus prudent de revenir à Rome préparer les moyens de le vaincre. Cette marche de soixante jours à travers l’Italie presque sans coup férir, les troupes et les généraux envoyés contre lui passant de son côté, ressemble beaucoup à la marche en vingt jours de Cannes à Paris ; cependant elle est moins merveilleuse. Il y a entre elles une autre différence : César était bien coupable, car il marchait sur Rome au mépris des lois ; mais il ne venait pas jouer le sort de son pays contre l’Europe, encore sous les armes, hélas ! et, malgré des prodiges de résistance, y amener l’ennemi.

À Rome, César convoqua ce qu’il appelle dans ses mémoires le