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Cicéron prononça, et probablement on peut en dire autant de la plupart de ses autres discours. En général, ils n’étaient point lus[1] et n’étaient pas non plus entièrement appris par cœur comme ceux de nos prédicateurs. Improvisés[2], au moins en partie, ils furent ensuite retouchés par l’auteur avant d’être publiés. Plusieurs allusions aux circonstances des jugemens ont dû être suggérées par l’aspect des lieux mêmes ; en les voyant tels qu’ils sont, en se les représentant tels qu’ils étaient, on comprend mieux, et surtout on sent plus vivement, les mouvemens d’éloquence qu’il ont inspirés à l’orateur ; on voit naître cette inspiration, on en surprend le secret. Si l’on veut se faire une idée vraie de tout l’effet oratoire produit par les discours de Cicéron, il faut placer sur cette scène, pour ainsi dire ressuscitée, les personnages qui y figurent avec leur physionomie, leur attitude ; il faut voir dans le procès de Sestius un de ses témoins se lever du tabouret où il était assis près de l’accusé et jurer qu’il l’appuiera jusqu’au bout, dans le procès de Plancius une vestale sortir de sa sainte demeure pour venir embrasser son frère en pleurant devant le peuple ému de pitié et de religion, enfin, dans le procès qui nous occupe, Milon, ferme et farouche, refusant de rien faire pour attendrir ses juges, et Cicéron, éperdu, éploré, répandant devant les jurés ces larmes auxquelles dédaigne d’avoir recours la fierté de son ami.

Quand on va de Rome à Albano, on traverse le lieu de la rencontre homicide que Cicéron retrace si vivement, mais au point de vue de la défense. M. Rosa a déterminé ce lieu avec une grande précision. L’événement se passa, dit Cicéron, devant le terrain appartenant à Clodius, sur lequel il construisait une villa. Là étaient, à droite en allant à Rome, au-dessus de la route qu’elles dominaient, les substructions démesurées (insanas substructiones) dont parle l’orateur. Les défenseurs de Clodius cherchaient à tirer parti du hasard qui l’avait fait tomber sur cette route construite par un autre Claudius, Appius Cæcus, dont elle portait le nom, et, comme on disait, parmi les souvenirs de ses ancêtres. Cicéron répondait : « Appius Claudius Cæcus a-t-il construit cette voie pour l’utilité du peuple romain ou pour l’impunité du brigandage de ses descendans ? » Et il rappelait que, sur cette même voie Appienne, lors de l’évasion

  1. On les lisait quelquefois, mais c’était une exception dont le motif est indiqué. Ainsi Suétone a soin de remarquer qu’Auguste lisait les siens : on pensait leur donner par là plus de poids ; Cicéron, en parlant d’un discours prononcé par lui dans le sénat, dit qu’il l’a lu à cause de l’importance du sujet : « propter rei magnitudinem dicta de scripto est. » (Pr. Pl., 30.)
  2. L’improvisation est évidente quand Cicéron fait allusion à quelque incident imprévu des débats.