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souvent calculées du second ; il y reçut Pompée et Brutus. Le Tusculanum de Cicéron était sa villa préférée. « Là, disait-il, je me repose de toutes mes fatigues et de tous mes ennuis ; non-seulement l’habitation, mais la seule pensée de ce lieu me charme. » Cette retraite était toujours à sa portée, il pouvait en deux heures échapper aux agitations, aux inquiétudes que lui faisaient une situation difficile, un caractère d’autant plus irrésolu que son esprit était plus pénétrant, et là, à cinq lieues de la ville, recevoir des nouvelles toutes fraîches, écouter de près tous les bruits de Rome, dont il était singulièrement avide. La villa de Cicéron avait appartenu à Publius Sylla, et probablement avant lui au dictateur. Elle était destinée à passer du plus impitoyable des hommes à l’un des plus humains. Cette villa, qui contenait un xyste, c’est-à-dire un parterre avec des allées couvertes, était formée de terrasses, comme l’étaient presque toujours les villas antiques, et comme le sont fréquemment aussi les villas modernes. Cicéron, plein des souvenirs d’Athènes, avait appelé la terrasse supérieure le Lycée et l’inférieure l’Académie. Il se plaisait à orner sa demeure champêtre de statues, de tableaux, de terres cuites, d’objets d’art de toute espèce, qu’il priait son ami Atticus de lui envoyer de Grèce, mais dans lesquels il semble n’avoir jamais vu qu’un moyen de décoration[1].

On montre, aux lieux où fut Tusculum, des ruines qu’on appelle la maison de Cicéron. Ce ne sont ni les ruines de la maison de Cicéron, ni même les ruines d’une villa ; comme on n’en peut douter, quand on les voit avec M. Rosa, ce sont des conserves d’eau au-dessus desquelles était l’area d’un temple. La villa de Cicéron, située sur le flanc de la montagne qui domine Frascati, et non au sommet de cette montagne, était beaucoup plus bas que ces prétendues ruines ; tout porte à la placer dans une des villas qui sont au-dessous de la Rufinella, laquelle aurait remplacé la grande villa de Gabinius, et quelque part dans le voisinage de la belle villa Aldobrandini, où l’eau Crabra, mentionnée par Cicéron, coule encore, et, unie aux fraîches ondes de l’Algide, chanté par Horace, forme la belle cascade qui tombe en face du Casin. C’est donc là qu’il faut aller chercher Cicéron ; c’est là qu’il était tout entier avec sa double condition d’homme politique et d’homme littéraire, l’une qui lui causa tant de mécomptes, l’autre qui lui a donné tant de gloire. Là on le suit sous ses ombrages, occupé jusqu’à la passion des grands intérêts de Rome et aussi de toutes les intrigues qui viennent les

  1. Cependant il faisait passer quelquefois la beauté de l’art avant le mérite de la convenance ; il avait acheté des bacchantes pour décorer sa bibliothèque : des muses auraient mieux valu, dit-il, mais les bacchantes sont bien jolies, pulchellœ sunt. (Ad Fam. VII, 23.)