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de la république ; mais sa présence le diminuait. Il ne savait pas se rendre populaire, et les efforts qu’il faisait pour le devenir blessaient de plus en plus le sénat. Cicéron avait joué le premier rôle pendant son consulat, un coup hardi avait un moment ébloui la foule et lui-même tout le premier ; mais il lui était impossible de rester au rang où les événemens et son courage l’avaient porté. Les patriciens ne subissaient qu’à regret la reconnaissance qu’ils ne pouvaient lui refuser. Les hommes de guerre n’étaient pas disposés à prendre pour drapeau la toge du consulaire, à laquelle ils n’admettaient pas que dussent céder les armes[1]. César, jusque-là, n’avait pas joué un rôle militaire qui pût être comparé à celui de Pompée, ni un rôle politique égal à celui de Cicéron. Il n’avait pas été consul ; mais, par une habileté toujours sûre et qu’aucun scrupule n’arrêtait, il avait miné le terrain sous les pas de ses rivaux, compromis Cicéron et le sénat, enfin attiré à lui la popularité, que Pompée, ce grand conquérant, n’avait pas su conquérir.

Le jour où expirait son consulat, Cicéron se présenta au pied de la tribune pour y monter et, suivant l’usage, rendre compte au peuple de ce qu’il avait fait pendant la durée de sa charge. Le tribun Metellus y avait pris place et lui défendit de parler : celui qui avait fait mettre à mort des citoyens romains sans les entendre ne méritait pas d’être entendu. Cet outrage était un avant-coureur des récriminations qui attendaient le consul dès qu’il aurait déposé le pouvoir ; mais ce fut pour Cicéron un dernier triomphe. Il insista sur son droit de jurer que dans l’office qu’il venait de remplir il n’avait point démérité ; il fallut y consentir. À la tribune, à côté d’un ennemi acharné, en présence de ce peuple ébranlé, Cicéron eut un mouvement sublime, et, changeant la formule ordinaire du serment, il s’écria : « Je jure qu’à moi seul j’ai sauvé la république et cette ville ! » Ce cri d’un noble orgueil alla au cœur du peuple, qui lui répondit par des acclamations, et quand, simple citoyen, il rentra dans la maison des Carines, où il logeait encore, la foule l’escorta comme au jour où il avait triomphé de la conjuration de Catilina. À partir de ce moment, Cicéron cesse de jouer un rôle politique ; pénétré du sentiment de sa faiblesse, il se résigne à plier sous César et Pompée, mais non sans amertume. N’ayant pour se

  1. Cedant arma togœ, avait dit Cicéron dans le poème qui était une glorification de son consulat.