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lettres qui paraissaient se rapporter aussi aux affaires de Suède, fut accusé publiquement de s’être mis à la tête de la conspiration, dans laquelle d’Aiguillon parvint à envelopper son ennemi dans le cabinet, M. de Monteynard. Louis XV, comme toujours, céda devant l’orage, quel qu’il fut. Le comte de Broglie fut exilé dans sa terre de Ruffec, mais un billet du roi tout confidentiel l’informait en même temps qu’il n’avait rien perdu de la confiance royale. Bien plus, il devait continuer, du fond de son exil, la direction de cette diplomatie secrète à laquelle, malgré de nombreux déboires, Louis XV ne voulait pas renoncer. Quant à Monteynard, Creutz ne revenait pas de son indignation et de son étonnement en le voyant rester en place. Louis XV hésitait à frapper celui qui n’avait été que son serviteur intime et dévoué; il assurait toutefois qu’il l’allait remplacer incessamment, et disait avec son habituelle insouciance : «Monteynard est le seul honnête homme de mon conseil, mais il ne résistera pas longtemps, il n’y a que moi qui le soutiens. » D’Aiguillon triompha en effet à la fin du mois de janvier 1774, et réunit, par le renvoi de Monteynard, les deux portefeuilles de la guerre et des affaires étrangères; au mois de mai suivant, Louis XV mourut, et la diplomatie secrète s’interrompit. Le comte de Broglie, qui en avait été le ministre dirigeant, fut rappelé de son exil et justifié, et l’on sut alors quels avaient été le mécanisme et l’histoire de cette mystérieuse institution. Elle avait commencé vers 1740, quand le prince de Conti avait entretenu avec le roi une correspondance secrète concernant la succession de Pologne, à laquelle ce prince aspirait. Le comte de Broglie avait été chargé en 1756 de continuer cette correspondance, qui s’était alors étendue : il y avait eu bientôt des agens affidés dans toutes les cours; quelquefois c’était le ministre résident lui-même, à l’insu du ministre titulaire des affaires étrangères; plus souvent c’était un employé subalterne de légation, qui devenait ainsi l’espion de son chef immédiat. M. d’Ogny, directeur du bureau secret à la poste, reconnaissait à un signe extérieur les dépêches des diplomates initiés; elles étaient envoyées au comte de Broglie par Guinard, garçon du château, déchiffrées dans le cabinet du comte, puis renvoyées à Louis XV avec les projets de réponses, auxquels le roi mettait chaque fois son visa après corrections. Le duc de Choiseul, le comte Desalleurs, ambassadeur à Constantinople, le baron de Breteuil, ambassadeur en Suède en 1766, et à qui le roi avait recommandé de suivre avec beaucoup d’attention les affaires de ce pays, M. de Saint-Priest, M. de Vergennes enfin, avaient fait partie de la diplomatie secrète; mais elle avait compté parmi ses agens inférieurs, comme on peut le croire, beaucoup d’aventuriers, notamment le chevalier d’Éon. La diplomatie secrète s’était occupée de toutes