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l’émouvoir et le déterminer à brusquer l’entreprise qu’on attendait de lui.


II.

De graves changemens, qui avaient dû attirer l’attention de Gustave III, étaient survenus en Danemark, Ce royaume était alors cruellement avili. Nous avons dit que l’influence de la Russie et de la Prusse y avait été toute-puissante, et avait fait du cabinet de Copenhague, dans les dernières années du règne de Frédéric V et au début de celui de Christian VII, un mortel ennemi de la Suède. La nationalité danoise subissait une de ces périodes d’asservissement à l’influence allemande et de dissolution intérieure contre l’effet desquelles nous la voyons réagir et se débattre aujourd’hui. Le malheureux Christian, dont le triste et long règne avait commencé en 1766[1], n’était pas capable d’affranchir son pays de cette dangereuse vassalité. C’est dans les mémoires de Reverdil, devenu son précepteur après le Genevois Mallet, qu’il faut lire les incroyables détails de sa triste enfance. Devenu roi à dix-sept ans, il avait donné depuis longtemps déjà des signes d’imbécillité. L’homme de cour qui, suivant l’usage de ce temps, avait les fonctions de gouverneur, M. de Reventlow, lui avait infligé la plus brutale éducation : il le meurtrissait de coups, et le malheureux prince, dans sa démence, avait pour suprême idéal de voir son corps devenir invulnérable et endurci; il palpait son ventre pour savoir s’il avançait, disait-il, vers cet état de perfection. Nul délassement, nul plaisir conforme à son âge ne lui était offert. « Les amusemens d’hier, disait-il un jour à son précepteur, ont considérablement ennuyé mon altesse royale! » Vers la fin de 1770, un favori allemand, le célèbre Struensée, prit en main le pouvoir que ces débiles mains ne pouvaient retenir. Bien que son administration ait été souvent inspirée par l’esprit libéral de son temps, on ne peut lui savoir beaucoup de gré de réformes accomplies avec une précipitation qui jeta partout le désordre, et l’on ne saurait oublier qu’après avoir déshonoré la cour et la maison royale, Struensée laissa après lui les germes d’une profonde corruption.

Gustave III était le beau-frère de Christian VII; il avait vu de ses yeux, lors de son passage à Copenhague, commencer l’insolente domination du favori. « La cour, dit Reverdil, était devenue une maison bourgeoise où l’on voyait la société du comte Struensée. Gustave, ayant appris qu’il était invité chez le roi avec une ou deux femmes de négocians, demanda s’il n’y avait point aussi de juifs dans la compagnie; une de ces femmes lui reprocha obli-

  1. Il devait se prolonger jusqu’en 1808.