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On voit que le cabinet de Versailles ne savait pas jusqu’où le Danemark était engagé dans la ligue formée contre la Suède; ses projets sincères de conciliation allaient échouer contre des haines héréditaires que les ambitieux voisins de Gustave III avaient su raviver et envenimer. — Le 7 juin 1771, quelques jours seulement après que le nouveau roi était de retour à Stockholm, M. de Vergennes écrivait de cette même ville au duc d’Aiguillon, ministre des affaires étrangères de France :


« Je suis arrivé à Stockholm aujourd’hui vers le midi. J’ai fait toute la diligence qui était en mon pouvoir pour me rendre un moment plus tôt à ma destination ; mais les postes sont si mal servies en Allemagne et les chemins y sont si détestables que, malgré le sacrifice de plusieurs nuits, je n’ai pas avancé autant que je l’aurais désiré. J’ai aussi essuyé quelques contradictions sur la mer. J’ai surmonté toutes celles qu’il dépendait de moi d’aplanir; mais il en est qui sont supérieures à ma volonté et à mon zèle. Je me trouve ici sans équipages, sans aucune nouvelle du vaisseau qui me les apporte, et peut-être sans moyens de suppléer à ce qui me manque. »


La plus grande promptitude avait été en effet recommandée au nouvel ambassadeur, parce que les préparatifs de la prochaine diète, déjà engagés, allaient offrir des circonstances critiques, dont il fallait s’emparer habilement. D’ailleurs un parti de la cour, détaché de l’ancien parti des chapeaux, s’était formé depuis quelques années déjà, grâce aux efforts intelligens de Gustave et à la coopération du cabinet de Versailles. Déjà le comte de Modène, ministre de France à Stockholm de 1768 à 1770, avait eu au château, dans les appartemens de Beylon, lecteur de la reine Louise-Ulrique, plusieurs entretiens secrets et nocturnes avec le prince et les chefs de ce parti, pour préparer une révolution. Choiseul avait même plus d’une fois cru voir ces desseins aboutir: il était pressant et s’irritait des retards. « Le moment favorable pour la révolution est arrivé, mandait-il dès le 4 décembre 1768; c’est de cette cour que nous doivent venir les projets d’exécution. » Le 7 septembre 1769, il écrivait avec une visible mauvaise humeur : « On a manqué le moment de faire la révolution. La France ne veut pas se ruiner pour ses amis, qui ne veulent pas se sauver. La France avait donné de l’occupation à la Russie en Pologne et contre les Turcs... Si la révolution ne se fait pas dans un mois, on ne donnera plus un sou[1]. » Mais le péril était plus grand que ne le pensait Choiseul; l’échafaud de 1756 pouvait se relever entre les mains du parti des bonnets, et le prince royal pouvait perdre à ce jeu sa couronne : il fallut que Choiseul se résignât à attendre. Beylon, tout dévoué à Gustave, et par qui

  1. Archives des affaires étrangères.