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l’unité commencent à le reconnaître, et de force ou de gré toute activité sérieuse concourt à l’œuvre italienne. Le parti de l’intelligence et du travail est pour l’Italie une et pour le roi national. Les oppositions sincères (elles n’ont pas toujours tort) ne sont au fond que des impatiences; il n’existe entre les partis qu’une différence d’allure.

Ainsi les discordes italiennes ne se produisent qu’à fleur d’eau : le courant est le même, tous y roulent, — jusqu’aux populations napolitaines, qui s’arment maintenant partout pour la défense de la patrie commune et de la société. On a beaucoup écrit contre elles en les jugeant sur de tristes apparences; on leur a demandé avec une extrême exigence les vertus acquises qu’elles n’ont point encore, sans prendre garde aux vertus natives qu’elles pourraient enseigner non-seulement aux Italiens du nord, mais aux peuples de tous les pays. Sans évoquer le glorieux contingent de héros que Naples a fournis au martyrologe de l’Italie, et pour ne parler que des classes incultes et pauvres, où en trouvera-t-on qui les vaillent? Le peuple napolitain est bon, dans la plus haute acception de ce mot, dont on abuse : il se donne volontiers avec une effusion de cœur que je cherche en vain dans les pays froids; il a des accès d’enthousiasme et de générosité qui le rendent capable de tous les sacrifices. On le dit fainéant, on se trompe; il ne demande que du travail. Lorsqu’un chef de fabrique a besoin de vingt ouvriers, il en trouve cent sous la main. Non, ce peuple n’est point fainéant, il n’est point lâche. Quand on voulut lui imposer l’inquisition, il se souleva pour ne pas la subir, et ne la subit pas; quand il se battit dans Venise assiégée, il fut héroïque; il se conduit en Italien dans l’armée italienne. Et que dire des intrépides scélérats qui suivaient en novembre 1863 Caruso et Schiavone ? Quels soldats ils feraient, si on leur avait donné l’idée de l’honneur!

C’est cette idée qu’il s’agit de répandre. L’Italie a charge d’âmes, elle doit accomplir la régénération sociale de ce pays. C’est ce qu’elle fait en détruisant le brigandage, et voilà pourquoi le brigandage résiste : il en veut à la cause de l’unité parce que c’est la cause de la société; mais on vient de voir l’impuissance de ses efforts. Il ne sera pas donné à quelques bandits d’anéantir la pensée de Dante et de Machiavel, l’œuvre de Garibaldi et de Cavour, ni d’étouffer ce rêve généreux qui fut la souffrance de tant de siècles, et dont la réalisation sera la gloire du nôtre. Ce pays n’a plus rien à craindre de la réaction, Naples est définitivement italienne.


MARC MONNIER.