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même que lorsqu’en 1859 la conspiration libérale fit quelques pas pour se concilier l’appui des lazzaroni, les chefs de ceux-ci répondirent très nettement : « Nous serons des vôtres à la condition que vous ne recommencerez pas l’affaire de 1848, et qu’il y ait aussi quelque chose pour nous ! » On le voit, les idées ne comptaient guère dans les ambitions de la plèbe; celle-ci demandait nettement des piastres et vaguement son droit dans les émeutes, celui de piller une heure ou deux.

La plèbe napolitaine n’obtint rien de tout cela, mais elle vit partir le héros populaire qui lui avait promis tant de choses et arriver le regalantuomo (le « roi-monsieur, » le « roi des messieurs, » comprenait-elle), qui lui ordonnait de se tenir tranquille, et qui distribuait des places et des décorations aux hommes bien vêtus. Ce fut donc un amer désenchantement; mais dans les provinces, dans les campagnes surtout, il y eut des oppositions provoquées par des mécontentemens plus justes. Le bourgeois y devint bien réellement le roi du village; il se forma une oligarchie de petits seigneurs autrefois opprimés et opprimant à leur tour avec toute l’aigreur d’une colère longtemps refoulée. Cependant le simple villageois, le paysan, le berger, restaient aussi pauvres qu’autrefois; l’ancienne ignorance n’avait pu se dissiper en quelques jours, l’ancienne misère persistait avec toutes ses excitations sinistres. En même temps le frein était rompu, la circulation était libre, des colporteurs vendaient de la poudre et des balles, des carabines et des revolvers; puis toutes les vieilles haines contenues par la ruse ou la force venaient de se réveiller tout à coup, secouées et débridées par la révolution ; elles s’exaltèrent jusqu’à la rage. — Les villages qui se disputaient un champ ou un bois depuis cinquante ans, les familles qui s’exécraient pour des questions de préséance, profitèrent de l’agitation générale pour en venir aux mains; toute rancune privée prit un masque politique, toute vengeance personnelle s’assouvit au nom de Victor-Emmanuel ou de François II. Les anciennes mœurs (il faut le dire, hélas! en mots violens) se maintinrent longtemps dans toute leur infamie. Quand un hobereau sans courage avait un ennemi sous les Bourbons, il le dénonçait comme libéral, et par ce moyen l’envoyait aux galères; les mêmes dénonciations furent continuées sous le nouveau régime : seulement l’homme dont on voulait se défaire était accusé d’être bourbonien. Il en résulta beaucoup d’injustices commises, beaucoup de persécutions et de lâchetés ; or les bois étaient proches, les montagnes offraient un refuge aux opprimés, qui ne songeaient qu’à fuir, et des bandes s’y formaient déjà, grossissaient d’heure en heure, appelaient toutes les victimes de la société, malfaiteurs ou indigens, galériens ou soldats, leur offrant des fêtes, des piastres, des filles, des armes, des moyens de vengeance, du sang à