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REVUE. — CHRONIQUE.

pour combattre ce persévérant effort qu’aucun échec n’a découragé, il est bon de rappeler à la mémoire des générations nouvelles quels fruits l’intime alliance de l’église et de l’état portait encore, il y a un siècle à peine, en France même, dans une de nos plus intelligentes et de nos plus fières cités ; il est bon de leur montrer par combien de larmes et de sang, par quelles souffrances noblement supportées, par quels généreux travaux ont été préparés la victoire de la conscience et le triomphe du droit. C’est ce que viennent de faire deux pasteurs de l’église réformée de France, MM. Athanase Coquerel fils et Camille Rabaud, en reprenant à nouveau la douloureuse histoire des Calas et des Sirven, en examinant l’une après l’autre toutes les pièces de la procédure. Ils ont su, malgré l’émotion dont il leur était impossible de se défendre en remuant ainsi les cendres des martyrs, rester toujours maîtres de leur langage, s’interdire toute emphase, se préserver de toute déclamation. Les faits ici parlaient d’eux-mêmes. Malgré les affirmations dénuées de preuve et les insinuations mauvaises que se permet encore à l’occasion une école qui excelle à fausser l’histoire, aucun esprit sérieux ne peut aujourd’hui conserver le moindre doute sur la parfaite innocence de ce Calas qui périt sur la roue, de ce Sirven dont la fuite seule épargna aux juges de Calas le malheur de charger leur conscience et leur mémoire d’un second meurtre judiciaire.

L’étude de M. Coquerel sur Jean Calas et sa famille l’a naturellement conduit à s’occuper de Voltaire et du rôle glorieux qu’il a joué dans le procès en réhabilitation par lequel, en 1765, le parlement de Paris eut l’honneur de venger la mémoire du martyr, et de rendre un premier hommage au principe de la tolérance, qui se faisait jour à travers tous les obstacles. M. Coquerel s’est trouvé conduit ainsi à se faire l’éditeur d’un certain nombre de lettres nouvelles de Voltaire, « toutes relatives au procès des Calas. Dispersées dans différentes collections publiques ou privées, elles étaient pour la plupart inédites, et celles qui avaient déjà été publiées l’avaient été dans des recueils rares ou peu connus en France. Ces cent vingt-huit lettres, sans rien ajouter d’important à la gloire de Voltaire, forment un supplément intéressant à tout recueil de ses œuvres complètes, et surtout nous font encore mieux comprendre, par leur rapprochement même, quelle prodigieuse activité ce vieillard mit au service de cette noble cause et de la malheureuse famille qui la représentait alors.

Il y aurait quelque chose de vraiment puéril à s’étonner de voir un membre distingué d’un clergé chrétien, un croyant sincère et convaincu, se faire l’éditeur empressé et respectueux de Voltaire, et rendre à sa mémoire un public hommage. C’est là, si je ne me trompe, une grande marque de la puissance de cet esprit de justice et d’impartialité que l’étude de l’histoire tend à développer autour de nous, et dont s’imprègnent de plus en plus, comme par l’effet de l’air même qu’elles respirent, les générations qui nous suivent. Le temps approche, nous l’espérons, où il sera enfin pos-