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des affranchis. Les généraux vainqueurs et leurs soldats ne sont pas les seuls qui ont bien mérité de l’Union ; leurs services sont au moins égalés par ceux des maîtres d’école et des instituteurs obscurs qui se rendent dans le sud à la suite des armées, par ceux des humbles cultivateurs qui s’établissent sur les propriétés abandonnées et labourent eux-mêmes le sol qu’épuisait autrefois le travail esclave. Ce sont là les véritables conquérans, car ce sont eux qui transforment la société du sud en l’arrachant à l’ignorance et à la paresse. Grâce à leur exemple, les petits blancs apprendront la valeur de l’instruction et le prix du travail ; ils n’auront plus besoin de vivre aux gages des propriétaires de nègres, et l’amour de la grande patrie américaine naîtra chez eux en même temps que le sentiment de la dignité personnelle. Déjà plusieurs états à esclaves, jadis rebelles, le Tennessee, la Louisiane, l’Arkansas, demandent à rentrer dans le sein de l’Union en abolissant la servitude des noirs et en se reconstituant sur la base du travail libre. L’esclavage, et non le climat, séparait les deux portions de la république américaine : c’est à la liberté de les unir.

Élisée Reclus


LETTRES INEDITES DE VOLTAIRE[1].



Byron a dit quelque part, dans des vers souvent cités : « Une fois commencée, la bataille de la liberté, quoique souvent perdue, est toujours gagnée. » Peut-être le contraire est-il plus vrai, et je ne sais si on n’ajouterait pas à la justesse de la pensée en en renversant les termes. La bataille de la liberté n’a jamais été si bien gagnée que la chance n’ait, au bout de quelque temps, paru près de tourner de nouveau ; ce triomphe dont on était si fier semblait sur le point de se changer en défaite. Nous ne voulons penser ici qu’à la première, à la plus précieuse de toutes les libertés, à la liberté religieuse, à la liberté de conscience. Or, en dépit des certificats que nous aimons à décerner à notre siècle, des congratulations que nous nous adressons à nous-mêmes à propos des progrès accomplis, est-ce là donc une cause si bien gagnée, un principe si universellement admis, qu’il soit désormais inutile d’y revenir, pour montrer à quelles violences et à quelles cruautés conduisent nécessairement les religions d’état et l’immixtion du pouvoir civil dans les choses de la conscience ? Nous ne le pensons pas. Bien des signes avertissent au contraire les défenseurs de la libre croyance et de la libre pensée que l’heure n’est point venue de se reposer sur la foi des traités. Pour répondre à l’incessante propagande de leurs adversaires,

  1. Voltaire, Lettres inédites sur la Tolérance, publiées avec une introduction et des notes, par M. Athanase Coquerel fils, auteur de Jean Calas et sa Famille. — Sirven, étude historique, d’après les documens originaux et la Correspondance de Voltaire, par M. Camille Rabaud, pasteur à Mazamet ; Paris, Cherbuliez.