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seine-boats. La seine diffère du drift-net en ce que les mailles sont beaucoup plus petites ; elle attaque d’ailleurs sa proie en de tout autres conditions. Le filet de Mount’s-Bay est un mur ; le filet de Saint-Ives est une tombe. La pêche du drift a lieu dans le silence des nuits sombres ; la pêche de la seine se pratique en plein jour ou tout au moins par les beaux clairs de lune.

Quand j’arrivai dans la ville, toute la population était en émoi ; on attendait le pilchard. Il vient généralement plus tard à Saint-Ives que sur les côtes de Newlyn et de Mousehole ; il y a même des années où il ne vient pas du tout : qu’on juge alors de la consternation des habitans ! Des hommes appelés huers ou hewers guettaient son arrivée, postés sur le sommet des collines qui dominent la baie en face de la ville. Ces hommes ont une justesse de coup d’œil extraordinaire ; ils devinent les mouvemens d’un banc de pilchards à la couleur de la mer et d’après les oiseaux qui volent dans le ciel. Comme une telle surveillance demande toutes les forces de l’attention, ces vedettes se relèvent de trois heures en trois heures ou de six heures en six heures. Pendant que les huers se tiennent ainsi sur le qui-vive au haut de la falaise, trois barques, desservies par vingt-deux hommes et accompagnées de bateaux plus petits dans l’un desquels j’avais réussi à m’introduire, flottaient à la surface de la baie. Nous ne faisions d’ailleurs que suivre le mouvement de la vague sans presque changer de place. Les regards des pêcheurs, tournés vers l’endroit d’où devait partir le signal d’agir, étaient pleins d’impatience et d’anxiété. Nous attendîmes ainsi durant une demi-journée qui me sembla très longue ; mes compagnons attendaient depuis plus d’une semaine. Enfin deux huers parurent sur les hauteurs avec des rameaux blancs à la main, white bushes ; c’est le nom qu’on donne à des branches de broussailles revêtues d’étoupe ou de rubans de couleur blanche. C’était le signal : le cri de heva, heva, heua, retentit alors de vague en vague et de rocher en rocher sur presque toute l’étendue de la baie, répété par les marins, les curieux et les habitans de la ville, qui s’échappaient en toute hâte de leurs maisons pour suivre la scène du haut des terrasses. Toutes les barques s’élancèrent à la fois, courant les mêmes bordées et se précipitant vers l’endroit indiqué comme autant d’oiseaux de proie. Les eaux de la baie tressaillaient autour de nous, battues avec fureur par les rames et en quelque sorte excitées elles-mêmes par le mouvement et l’enthousiasme général. On reconnut pourtant que c’était une fausse alerte ; le pilchard s’était bien montré à l’embouchure de la baie, mais il avait fait volte-face, et comme s’il eût senti les filets, il s’éloignait adroitement vers les rochers et les eaux profondes, laissant à la surface tremblante des vagues un