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avaient entrepris de la défier, démolir leur citadelle paradoxale, et les conduire pas à pas dans la grotte où l’orage conduisit Énée et Didon, dans le bois où s’accomplit l’Oaristys de Théocrite et d’André Chénier. L’auteur pouvait le faire sans rien changer à son dénoûment, et tout simplement en réveillant la jeune femme de son rêve impossible au moment où il va se transformer en une réalité brutale. Certes c’était là une jolie et piquante idée de comédie. Le sentiment de Mme de Simerose ne se tire pas, il est vrai, directement de la nature ; mais c’est bien un de ces sentimens artificiels sans être faux qui germent dans les âmes raffinées et civilisées, et il est bien l’image de la situation compliquée et délicate de l’héroïne. Malheureusement cette idée, qui d’ailleurs se présente assez tard, à l’avant-dernière scène du troisième acte, a été abandonnée par l’auteur aussitôt qu’aperçue. M. Dumas, pour ramener son héroïne au bon sens, s’est servi de moyens beaucoup plus violens que ceux qu’aurait employés un Marivaux ; mais, pour être violens, ces procédés n’en sont pas moins fort alambiqués et fort entortillés.

Le médecin de l’âme de Mme de Simerose est un certain M. de Ryons, qui prend le titre d’ami des femmes, et qui s’acquitte de ses fonctions comme vous allez voir. Lorsque le rideau se lève, nous voyons ce personnage occupé à soutenir devant une Mme Laverdet, femme d’un membre de l’Institut, les théories les plus désobligeantes sur le sexe féminin, l’amour et le mariage. M. de Ryons a deux infirmités : il se défie des femmes, et il est affecté d’une pléthore, ou, si vous aimez mieux, d’une incontinence d’esprit qui ne lui permet pas de prononcer une parole sans faire une pointe ou un bon mot. Voulez-vous quelques échantillons de cet esprit ? M. de Ryons ne se marié pas parce qu’il n’aime pas à monter en omnibus ; le mariage est un fardeau si lourd qu’on se met d’ordinaire à trois pour le porter ; il y a plus d’honnêtes femmes qu’on ne croit, mais moins qu’on ne le dit, etc. Vous vous étonnez qu’un tel personnage s’intitule l’ami des femmes, ayant pour elles si peu d’estime ; voici l’explication de ce mystère. Il est leur ami précisément parce que l’amitié est le seul sentiment que lui permette d’éprouver la défiance qu’elles lui inspirent. Aussi ne leur demande-t-il point des affections sérieuses qu’il sait, par l’expérience des autres, qu’elles ne pourraient lui donner ; il se contente de faire les intérim de leurs grandes passions, situation modeste qu’il a trouvée pleine de charmes, et qui lui a permis de recevoir une foule de confidences féminines. En retour de ces services, il donne aux femmes de sa connaissance quantité de bons conseils, et les empêche le plus qu’il peut de commettre les sottises auxquelles, selon lui, leur nature est invinciblement encline. Il y avait une idée réellement ingénieuse dans