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LE
THÉÂTRE CONTEMPORAIN

LE MARQUIS DE VILLEMER. — L’AMI DES FEMMES.

En assistant l’autre soir à la représentation du Marquis de Villemer, je faisais cette réflexion que les hommes sont encore presque aussi ignorans des lois auxquelles obéit le vrai génie qu’ils l’étaient au moyen âge des lois auxquelles obéissent les astres. Autrefois, lorsque le soleil se voilait ou qu’une comète apparaissait dans le ciel, ils criaient au prodige et au miracle ; aujourd’hui, toutes les fois qu’un écrivain de génie se montre sous un aspect que nous ne lui connaissions point encore, ou nous touche par d’autres moyens que ceux qui lui étaient habituels, nous nous étonnons et nous prononçons le mot de surprise. Ces surprises pourraient cependant être aussi infailliblement calculées que le retour des éclipses et la marche des planètes, et la seule chose surprenante en cette occasion est notre étonnement. Il n’y a là ni prodige ni miracle, il y a l’accomplissement d’une loi naturelle qui, mieux que les prodiges et les miracles, peut nous faire mesurer la distance qui sépare les écrivains d’un vrai génie des talens artificiels nés des influences échauffantes de la civilisation, ou des talens pénibles et gauches nés des efforts d’une volonté laborieuse. Le talent formé par les influences sociales ou acquis par le travail a des limites, le vrai génie n’en a pas, parce qu’il est un don de la nature, et qu’il en possède la puissance et la fertilité. Vous vous étonnez chaque fois que cet écrivain, qui vous a ému vingt fois peut-être, vous émeut de nouveau, et vous vous demandez quand donc il perdra ce pouvoir qu’il exerce sur votre âme ? Mais ce qui serait extraordinaire, c’est qu’étant ce qu’il est, il ne vous eût pas ému encore. Demandez donc au printemps