parlé dans l’île après le grec, ce n’est certes pas le turc, mais l’albanais. Les vieux chefs ont fait venir de leurs montagnes les fils de leurs parens et de leurs amis, et ils les ont placés parmi ces zaptiés, que l’on trouve répartis dans les principaux villages par troupes de dix, quinze, vingt, suivant les cantons. Ces malheureux sont fort peu payés ; aussi la plupart sont-ils en guenilles. Dans certaines provinces de l’empire, ils feraient beaucoup de mal et vivraient aux dépens des habitans ; mais ici, isolés au milieu d’une population belliqueuse qui joue volontiers du couteau et du fusil, ils ont peur et restent tranquilles. L’autorité d’ailleurs, qui n’a point envie d’avoir des révoltes à apaiser, leur tient la bride assez serrée.
Nous avons souvent fait halte au milieu du jour et quelquefois passé la nuit dans ces corps de garde albanais ; c’étaient des abris qui n’avaient rien de séduisant, mais dont il fallut pourtant se contenter, faute de mieux, en certains lieux déserts. La chambre est basse et enfumée ; le long des murs sont suspendues des armes mal tenues. Les lits de camp, avec leurs petits matelas tachés et troués et leurs couvertures en loques, sont d’une saleté révoltante. Çà et là quelques Arnautes dorment ou fument sur ces grabats. Ils sont tous en négligé ; une calotte qui fut jadis blanche leur couvre le haut de la tête à défaut du fez, que l’on réserve pour la grande tenue. Sur leurs épaules pendent leurs longs cheveux, qui semblent n’avoir jamais connu le peigne. Pour tout vêtement, ils ont une chemise déchirée et un large pantalon bouffant. Des souliers percés ou de vieilles bottes molles, semblables à celles que portent les autres habitans de l’île, leur couvrent à peu près les pieds. Sauf quelques rares exceptions, toutes les figures ont un air de famille qui frappe tout d’abord ; c’est sur toutes la même expression, non pas de méchanceté, mais de sauvagerie étonnée et d’ignorante apathie. Pour la plupart, les officiers sont dignes des soldats. En trois mois, nous avons vu deux mudirs qui nous ont plu par une physionomie intelligente, par des manières gracieuses et dignes ; mais en revanche combien les agas ou chefs des villages, car tout village de quelque importance a un de ces administrateurs albanais, nous ont presque toujours paru bornés et stupides, profondément inférieurs en tout point à la population qu’ils sont chargés de gouverner !
On le voit, le régime établi par Moustafa-Pacha pendant les premières années de la domination égyptienne n’a pas encore été modifié dans ses parties essentielles et ses caractères généraux. En 1840, lorsque Méhémet-Ali, malgré la France, eut été contraint, par la triple alliance, de renoncer à la Syrie et de se renfermer