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les entendait et ne les abandonnerait point ; elles lui montraient, dans ces vertus miraculeuses et salutaires conférées au dernier vêtement des martyrs, un signe visible de la protection divine, un. gage certain d’une prochaine et triomphante délivrance. À ce sentiment de chrétienne confiance venait s’en ajouter un autre qui se confondait presque avec lui : en dépit de tant de siècles d’oppression et de misère, le Grec n’avait jamais cessé d’avoir foi en l’avenir de sa race, et d’espérer secrètement qu’un jour ou l’autre sonnerait pour lui l’heure de la résurrection et des revanches. Les événemens de la guerre, par quelque douloureuse déception qu’elle se fût terminée, avaient pourtant, dans l’ensemble, été de nature à relever le moral des Grecs crétois, à leur donner conscience de leur force, à leur faire bien augurer du lendemain. Poursuivie des deux parts avec un acharnement farouche dont nous avons essayé de donner une idée, cette guerre de neuf ans laissait l’île ruinée, appauvrie, dépeuplée ; la peste, l’incendie, le trafic des marchands d’esclaves, avaient aidé le glaive à vider cités et villages et à enlever les bras à la culture. D’immenses étendues de terre, couvertes jadis de riches moissons, restaient en friche. Là où s’offraient autrefois à l’admiration du voyageur de belles plantations d’oliviers, on ne voyait plus que des troncs noircis par la flamme, qu’un sol-jonché de cendres et de rameaux flétris. Il semblait que le plus impitoyable de tous les fléaux, la famine, dût se charger de perpétuer les maux de la guerre et d’enlever à l’île le peu d’habitans qui lui restaient. Le voyageur français Olivier, en 1795, évaluait la population de l’île, d’après des renseignemens qui paraissent dignes de confiance, à 240,000 âmes, à peu près également partagées entre les deux religions. En 1834 au contraire, M. Pashley, s’appuyant sur une sorte d’enquête instituée et poursuivie par lui avec un soin minutieux pendant son séjour dans l’île, y trouvait environ 129,000 habitans ; sur ce nombre, 40,000 au plus étaient musulmans.

Ainsi, malgré tout ce qu’avaient enduré les chrétiens, la proportion numérique était changée à leur avantage, et, au terme de cette lutte d’où ils semblaient sortir vaincus, ils formaient les deux tiers de la population totale de la Crète. C’est que, tenant la campagne, ils avaient après tout moins souffert que les musulmans, enfermés dans les places, où les maladies et la disette avaient fait d’affreux ravages. C’est surtout que, plus sobres, plus actifs, plus laborieux, plus âpres à l’épargne, plus fidèles au vœu du mariage, ils étaient bien plus capables de réparer leurs pertes, de remplacer en peu de temps les générations détruites par la guerre, et de réveiller au sein de la terre sa fécondité endormie. Ils avaient d’ailleurs bon courage ; ils étaient fiers d’eux-mêmes, et les victoires de