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mystérieusement accomplis par quelque prêtre dévoué à la famille, l’enfant était circoncis par l’iman, et recevait un nom musulman, Ibrahim, Hussein ou quelque autre, le seul par lequel il fût connu et qu’il portât publiquement. Cette opulente famille, tout le monde l’atteste, ne manquait jamais d’employer le crédit dont elle jouissait auprès du pacha et l’influence qu’elle exerçait dans le district à protéger, du mieux qu’elle pouvait, les pauvres raïas, et à les défendre contre les » vexations et les avanies qui les menaçaient sans cesse. Parfois cependant l’inquiétude prenait les Kurmulides, lorsqu’ils songeaient à l’autre vie et au châtiment qui les y attendait peut-être en retour de leur apparente apostasie[1]. Sous l’empire de ces craintes, un d’entre eux se décida, vers le commencement du siècle, à faire un pèlerinage au saint sépulcre, et à demander au patriarche si un chrétien sincère, qui professait extérieurement l’islamisme, avait quelque chance d’être sauvé. Le patriarche répondit Sans hésitation qu’un chrétien qui cachait sa foi et qui rendait de publics hommages aux faux prophètes des infidèles devait renoncer à tout espoir de salut. Sur cette réponse, le vieillard prit aussitôt sa résolution, qu’à son retour il fit adopter à la plus grande partie des membres de sa famille. Trente Kurmulides résolurent d’aller ensemble trouver le pacha à Megalo-Kastro, pour déclarer devant lui qu’ils étaient chrétiens, et pour subir la mort ignominieuse qui ne pourrait manquer de suivre cet aveu. Quand ils furent entrés en ville, par respect pour l’archevêque, ils se présentèrent chez lui avant de se montrer au pacha, et lui firent part de leurs intentions. Le métropolitain, on le comprendra aisément, ne vit pas la chose sous le même jour que le patriarche de Jérusalem, et combattit vivement leur projet. Il n’eut pas de peine à leur prouver que ce n’était pas eux seulement qu’ils condamnaient ainsi au martyre, et que leur mort entraînerait fatalement celle de beaucoup d’autres chrétiens qui n’étaient nullement préparés à ces extrémités. On sévirait contre tous les prêtres qui avaient consenti à les marier et à baptiser leurs enfans, contre les évêques qui, à différentes époques, avaient accordé les dispenses nécessaires pour la célébration de pareils mariages ; les soupçons s’égareraient même sur beaucoup de personnes qui n’étaient point dans le secret, et la démarche des Kurmulides aurait pour conséquence inévitable de faire couler des flots de sang chrétien. L’archevêque termina en les assurant que sa pensée différait complètement de celle du patriarche ;

  1. C’est un voyageur anglais, M. Pashley, qui a recueilli quelques-uns de ces détails ; il les tenait de celui qui, après la guerre, était resté le chef de la famille, Iannis Kurmulis, qu’il connut en 1833, exilé à Nauplie. Ce personnage, dont le nom se trouve. aussi dans les chansons populaires de la Crète, s’appelait avant la révolution Ibrahim-Aga.