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du monde, et réussit, à force de politesses et d’avances, à endormir les plus soupçonneux ; puis, quand ils sont tous réunis dans la ville, il les convoque un matin au sérail pour entendre la lecture de je ne sais quel firman arrivé de Constantinople. Ils se rendent, sans défiance aucune, à cette invitation ; mais à peine sont-ils rassemblés dans la salle d’audience, que les domestiques du pacha et quelques aventuriers albanais dévoués à sa fortune se précipitent sur eux et les renversent, les garrottent avant qu’ils aient pu se reconnaître. En même temps les chrétiens en armes paraissent aux portes, et s’en emparent au nom du pacha et du sultan. D’autres bandes, conduites par des chefs sûrs, se dirigent vers les maisons des Turcs qui s’étaient le plus signalés dans les derniers désordres : on les saisit, on les entasse dans les prisons. Quelques heures après, vers le soir, sur la digue qui ferme le port de La Canée, on amène une vingtaine des prisonniers les plus notables, on les décapite tous l’un après l’autre, et à chaque tête qui tombait, un coup de canon annonçait à la ville la mort du condamné. D’après l’ordre formel du pacha, ces exécutions devaient être, pour les Turcs comme pour les Grecs, le motif et le prélude de réjouissances publiques : au moment où tonnait le canon vengeur, les jeux et les danses devaient commencer, et malheur à celui qui ne montrerait pas assez d’allégresse ! Puisqu’il regrettait les ennemis du sultan, les rebelles qui venaient de périr, il partagerait leur sort, il irait les rejoindre !

Le même jour, et par les mêmes moyens, les pachas de Retymo et de Candie avaient, eux aussi, fait leur coup d’état. Ils envoyèrent leurs prisonniers à Khania, car Hadji-Osman voulait jouir de sa justice, de sa vengeance. Pendant près de deux mois, le sang ne cessa de couler à La Canée. Vers l’heure où se couchait le soleil, une lente et funèbre salve apprenait à la ville combien de têtes avait tranchées le bourreau. Aussitôt éclataient les acclamations et la fête. Les Turcs avaient trop peur, ils tremblaient trop devant Hadji-Osman pour ne pas crier bien haut ; quant aux Grecs, ils triomphaient, et passaient la nuit à s’enivrer et à danser.

C’est là sans doute une justice bien expéditive et bien cruelle, qui songe à le nier ? Il y a surtout quelque chose de barbare dans cette joie commandée par le juge aux spectateurs de la peine, comme pour rendre par cet outrage la mort plus cruelle aux condamnés ; mais, si l’on veut être équitable pour Hadji-Osman, il faut bien se dire qu’à très peu d’exceptions près tous ceux qu’il a frappés méritaient leur sort. Si d’ailleurs il se montra impitoyable, lui-même en retour ne trouva ni justice ni pardon. Il avait trop bien servi la Porte pour rester longtemps en faveur. Ses rigueurs n’avaient pu manquer d’atteindre des parens ou des amis d’hommes puissans