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montagnes de l’île ; il se cachait au plus épais du fourré jusqu’à ce que tout sujet de crainte eût disparu. Dans quelques îles plus importantes, comme Chypre, Rhodes, Mételin et Chio, un certain nombre de familles musulmanes s’étaient établies dans les villes fermées et sous le canon des forteresses ; mais toute la population agricole et commerçante éparse dans les villages de l’intérieur et des côtes était chrétienne. Il n’y eut guère que deux îles où les musulmans se hasardèrent & sortir des enceintes crénelées, à se répandre dans les campagnes et à habiter les villages : je veux parler de l’Eubée et de la Crète, de Négrepont et de Candie, comme disaient les Italiens. C’est que la Crète et l’Eubée étaient, par places du moins, assez bien arrosées, assez fertiles, assez ombragées, pour attirer et retenir les Turcs, ces indolens contemplateurs auxquels il faut des moissons qui ne coûtent pas trop de fatigue, et après le travail, afin de bercer leur rêverie, le frémissement du feuillage et le murmure des eaux. En même temps ces îles étaient assez vastes pour que des musulmans s’y crussent presque aussi en sûreté que sur le continent, pour qu’ils pussent s’y distribuer en groupes nombreux et serrés, toujours prêts à se soutenir les uns les autres et à repousser toute tentative de débarquement.

Dans ces conditions si favorables aux mahométans, tout conspirait à les appeler et à les fixer de bonne heure en Eubée. De ces plaines thessaliennes et béotiennes, où s’étaient répandus en quelques années les, premiers conquérans, un pas suffisait pour enjamber le détroit et se trouver dans l’île. Aussi, dès que les Vénitiens, en 1470, eurent perdu Nègrepont, l’Eubée fut bientôt partagée tout entière, au profit des vainqueurs, en timars ou fiefs militaires. Les Vénitiens tentaient-ils un retour offensif, d’autres ennemis menaçaient-ils l’île, on n’avait, pour gagner le continent, qu’à traverser le pont de Chalcis ou à se jeter dans une barque et à donner quelques coups de rames ; c’est que l’Euripe, tant il est resserré, et si calmes sont ses belles eaux bleues, ressemble moins à un bras de mer qu’à un grand fleuve sans courant ou plutôt à courant variable : à Chalcis, il est moins large que la Seine à Paris.

La situation de la Crète diffère sensiblement de celle de l’Eubée. C’est de toutes les îles grecques la plus éloignée du continent et la plus isolée aussi, celle où des familles turques auraient le plus de peine à se transporter, parce qu’il faut toujours compter, pour faire le trajet, un ou plusieurs jours de mer, et que les Turcs n’ont pas le pied ni les goûts du marin ; c’était enfin celle où ils se verraient, en cas d’attaque, forcés d’attendre le plus longtemps les secours envoyés par leurs frères de terre ferme et exposés à les recevoir le plus tardivement. Comment s’expliquer alors que les musulmans soient si nombreux en Crète qu’on les y trouve, d’un bout à l’autre