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d’une vieille maison en granit où se tenait l’école. Invité à entrer, je trouvai une chambre aux murs nus et délabrés avec des garçons et des filles assis des deux côtés sur des bancs. L’institutrice se plaint amèrement du local, trop chaud l’été, trop froid l’hiver, en tout temps inhabitable. La pauvreté de cette école se trouve bien en harmonie avec l’air triste et sévère du village. Quelques-uns des enfans lisent et écrivent passablement : ils feraient plus de progrès, s’ils suivaient plus assidûment les classes ; mais, dès que vient la récolte des pommes de terre ou la saison de la pêche, ils s’envolent les uns dans les champs, les autres sur la mer, alors toute palpitante de voiles. Les garçons deviennent en peu de temps d’habiles marins, et il faut qu’il en soit ainsi, car ces côtes sont hérissées d’écueils et visitées par de terribles rafales. Quand le vent souffle au Land’s End, il souffle bien, et « un homme, disent les habitans de Sennen, aurait alors besoin de deux autres hommes pour lui tenir les cheveux sur la tête. »

De tels ouragans donnent nécessairement lieu à bien des catastrophes ; On entend à Sennen des récits navrans. Il y a quelques années, un vaisseau fut entraîné par la houle dans une caverne creusée au flanc d’un rocher ; tout l’équipage périt à l’exception de quatre hommes. Parmi les morts, on retrouva deux matelots dans les bras l’un de l’autre : c’étaient deux amis qui avaient passé ensemble par mille dangers ; ils avaient été prisonniers de guerre en France sous le premier empire et ensemble aussi ils avaient cherché à se sauver du naufrage. On les coucha sous le gazon au pied de la falaise, sans les désunir, dans la position même où ils avaient été trouvés. Le 12 juin 1851, un autre navire heurta contre les Brisons, et les passagers cherchèrent un refuge sur les deux rocs isolés au milieu des flots. La mer était si furieuse que nul ne pouvait s’approcher d’eux, et qu’ils furent emportés l’un après l’autre par les vagues, à l’exception du capitaine Sanderson et de sa femme, qui restèrent pendant deux jours en vue d’une population frémissante et incapable de leur porter secours. Enfin les braves pêcheurs, au grand péril de leur vie, atteignirent d’assez près les rochers avec leurs barques pour jeter une corde aux deux naufragés. Ici commença entre le capitaine et sa femme un combat sublime, chacun des deux refusant de se sauver avant l’autre. Le dévouement de la femme l’emporta : elle obligea Sanderson à ceindre la corde, et il fut aussitôt tiré à travers les flots par les pêcheurs, qui le recueillirent sain et sauf. C’était maintenant le tour de la femme ; mais soit qu’elle eût mal lié la corde autour de sa taille, soit par toute autre cause, elle fut noyée avant d’avoir pu atteindre le bateau de sauvetage. Sa tombe est maintenant dans le cimetière avec une inscription