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de l’honneur et de l’humanité leur imposaient de ne pas déchirer par leurs intrigues le malheureux pays qu’ils se décidaient à sauver, et de ne pas y armer les factions les unes contre, les autres. Loin de là, dès le début de la guerre de l’indépendance, ils semblèrent ne voir dans la Grèce qu’un nouveau champ de bataille pour leurs luttes d’influence.

Aussi des guerres civiles où les intrigues étrangères avaient une part prépondérante éclatèrent-elles en présence même de l’ennemi. La Providence avait, au commencement de ce siècle, suscité dans la race hellénique un grand homme d’état : il fut, à la fin de la lutte de l’indépendance, appelé au gouvernement de la Grèce ; mais il avait antérieurement dirigé les affaires d’une des premières puissances de l’Europe. Tandis que la Russie lui était sympathique, que le gouvernement du roi Charles X le soutenait moins chaudement, mais d’une manière loyale, l’Angleterre ne voyait en lui que l’ancien ministre de l’empereur Alexandre, au lieu d’y voir l’homme dont le génie administratif et l’expérience politique pouvaient seuls organiser un état qui semblait n’avoir échappé au joug des Ottomans que pour tomber dans une inextricable anarchie. Poussées avec une prodigieuse activité, les intrigues anglaises soulevèrent contre le président une opposition d’abord imprudente et bientôt criminelle, excitèrent des révoltes et déchaînèrent les passions qui mirent le poignard à la main du meurtrier de Capodistria. L’assassinat de Nauplie fut le signal d’une anarchie plus effroyable que celle qui avait précédé l’élection du président, et dans laquelle les influences européennes eurent encore une triste part. Il fallut, pour sauver alors la Grèce, toute l’énergie de Colettis, jointe à l’intervention d’un généreux philhellène allemand, d’un érudit et d’un philologue célèbre, M. Thiersch, qui, par une noble inspiration, s’était arrogé à lui-même le rôle de pacificateur que les représentans de l’Europe ne savaient pas remplir.

Pendant que ces événemens se passaient en Grèce, la conférence de Londres avait fait définitivement entrer la constitution du royaume hellénique dans le droit public européen ; mais c’était en restreignant son territoire à des proportions qui empêchèrent l’acceptation de la couronne par le prince Léopold de Saxe-Cobourg, devenu depuis roi des Belges, dont la maturité et la sagesse politique eussent été si utiles à la monarchie grecque dans les débuts de son existence. Le choix de l’Europe tomba alors sur un enfant, et condamna la Grèce, pour l’inauguration de sa vie monarchique, aux hasards d’une régence. C’était une grave imprudence que d’envoyer un prince allemand gouverner un peuple méridional. Rien de plus opposé que le caractère germanique et le caractère grec : l’un flegmatique, lent et réfléchi, l’autre ardent, tout de passion et de