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même action prend un caractère moral différent des deux côtés d’une ligne purement idéale ; ce qui est patriotisme et courage généreux au-delà est en-deçà brigandage. On ne saurait s’étonner si quelques-uns s’y trompent encore. Au reste, lorsque nous parlons de brigands, nous employons une expression impropre pour nous conformer à l’usage : nous devrions nous servir des mots de partisans politiques. C’est toujours en effet au nom d’un parti ou d’une passion politique qu’ont lieu en Grèce les actes de violence contre les personnes ou les propriétés et que se forment les bandes ; elles n’attaquent presque jamais que les individus du parti contraire. Le brigandage proprement dit, celui qui n’a que le vol pour mobile, s’il se rencontre quelquefois en Grèce, n’y est pas indigène ; il vient des frontières du nord, c’est-à-dire de la Turquie, car ce n’est pas la Grèce, mais la Turquie, qui est infestée par des nuées de malfaiteurs armés courant les campagnes et rançonnant les voyageurs. Il n’y a plus de brigands proprement dits dans le Péloponèse et dans les îles de l’Archipel, parce que le Péloponèse et les îles ont des frontières naturelles et peuvent se défendre. On en voit dans le nord de la Grèce, parce qu’il n’y a point là de frontières naturelles. Mais qui par le des brigands des environs de Constantinople ou de Smyrne ? La mode est de parler de ceux de la Grèce. « Attendons la fin de la mode, » comme écrivait un jour M. Saint-Marc Girardin.

Ce que nous venons de dire de l’état social de la Grèce paraîtra sans doute en contradiction avec les faits et les chiffres que nous avons donnés sur la diffusion de l’instruction dans ce pays ; mais ce n’est pas la première fois que la Grèce aura présenté le contraste d’un développement intellectuel très remarquable avec un état de société dans l’enfance, et l’on peut même presque dire dans la barbarie. À une époque où l’on ne savait pas encore travailler le fer, qui n’est pas nommé une seule fois dans les poèmes d’Homère, et où l’on immolait des hommes aux dieux pour obtenir des vents favorables, l’instrument de l’intelligence, la langue, avait devancé si rapidement par ses progrès les autres instrumens humains, que déjà Hésiode et Homère pouvaient faire parler toutes les passions et décrire toutes les œuvres des dieux et des hommes. Ainsi la culture intellectuelle avait précédé, chez les anciens Grecs, toutes les autres cultures. Le même phénomène se reproduit aujourd’hui chez leurs descendans. La charrue est encore celle de Triptolème, le vin continue à être renfermé dans les outres et mêlé de résine ; toute voiture, même l’utile brouette, est inconnue hors des environs d’Athènes et de deux ou trois autres villes ; à peine, existe-t-il vingt-cinq lieues de routes dans le pays ; partout, excepté dans les villes, les matelas sont une invention qui ne s’est pas fait jour, et on couche par terre sur un tapis ou enveloppé dans son manteau. Au bas de l’édifice