Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effet Xénophon, ni Thucydide, ni même Hérodote, dont le souvenir revient à chaque pas dans la pensée lorsque l’on parcourt aujourd’hui la Grèce ; les scènes qui se reproduisent sous les regards du voyageur sont celles de l’Iliade et de l’Odyssée. On rencontre dans toutes les montagnes des cabanes habitées par des pâtres comme Eumée, on y est accueilli, comme Ulysse déguisé en mendiant, par des chiens féroces de la vraie race antique des molosses ; mais, comme lui, on y trouve une réception d’autant plus hospitalière de la part des bergers, qui ne demandent le nom et la patrie de leurs hôtes qu’après les avoir admis à leur foyer. Le pallikare descendu des monts de la Thessalie est vêtu à peu près comme les anciens rois de la Phthiotide : il a leur caractère belliqueux, emporté, hardi jusqu’à la témérité ; comme eux, il provoque ses ennemis par des injures, et engage un dialogue avec ceux-ci avant d’entamer le combat. Seulement, quand son ancêtre Achille marchait à la bataille, il avait des armes ciselées par Vulcain, et il mettait en fuite les guerriers de l’Asie au seul bruit de sa voix ; de retour au camp, il fallait un bœuf entier pour apaiser sa faim et celle de ses compagnons. L’Achille moderne s’abrite derrière un cippe antique ou derrière un rocher pour faire usage de sa carabine, qui tient lieu du frêne du Pélion ; l’étoffe a remplacé le métal dans son costume. De retour au liméri, c’est-à-dire au bivac, il égorge et fait rôtir lui-même un mouton de la même manière que son aïeul s’y prenait pour sacrifier un bœuf ; la proportion est gardée. Le farouche Diomède revit dans les Maïnotes ; le souvenir de la race tragique des Atrides se réveille lorsque l’on entend l’histoire de cette puissante famille des Mavromichalis, qui laisse la pensée incertaine entre l’horreur et l’admiration, tant son nom rappelle à la fois de crimes et de gloire : d’un côté les meurtres de Capodistria, de Plapoutas et de Korphiotakis, de l’autre douze fils tombés sur les champs de bataille de l’indépendance ! Mais, de tous les héros d’Homère, celui qui personnifie le mieux les Grecs d’aujourd’hui, dans leurs qualités et dans leurs défauts, est sans contredit Ulysse, l’intrépide navigateur qui se joue des flots et des tempêtes, marchand dans l’âme, madré comme un vieux renard, amoureux des fables à tel point qu’il finit par ajouter foi lui-même à ses plus invraisemblables récits, beau parleur, brave comme pas un quand la nécessité le réclame absolument, mais préférant toujours se tirer d’affaire par la ruse plutôt que par le courage.

L’état de société que l’on désigne par le nom d’âge héroïque est un état de violence. C’est ce qui arrive dans certaines parties de la Grèce. La vendetta ravage la Laconie et la Messénie comme la Corse il y a cinquante ans. Le brigandage reparaît périodiquement dans quelques provinces malgré la gendarmerie, malgré les efforts du