Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un savant célèbre de l’Allemagne, Fallmerayer, a cru pouvoir prouver que le sang des habitans de la Grèce avait été profondément changé pendant le cours du moyen âge par des invasions multipliées, et qu’il y avait aujourd’hui parmi eux plus de Slaves que de véritables Grecs ? S’il en était ainsi, la nation hellénique présenterait le plus merveilleux phénomène de l’histoire ; la seule force de l’esprit aurait donné de nos jours aux grands hommes de l’antiquité grecque des enfans qui leur seraient étrangers, et cependant les rappelleraient par tant de traits ! N’est-il pas plus raisonnable de croire que, malgré des mélanges incontestables, le fond de la population de ces contrées célèbres n’a pas essentiellement été modifié ? Les Grecs ne sont devenus ni Albanais par l’influence des colons arnautes, ni Osmanlis par l’influence des conquérans turcs, ni Italiens par celle des Vénitiens, ni Romans par celle des Français et des Catalans ; ils ne sont pas non plus devenus Slaves. Non-seulement ils ont fait preuve d’une ténacité extraordinaire dans la résistance qu’ils opposaient aux nationalités étrangères, mais encore ils ont montré qu’ils possédaient la force morale nécessaire pour les absorber, force que ne possédaient ni les Ottomans ni aucune autre tribu chrétienne de la Turquie. Leur langue a vaincu au moyen âge la langue slave ; plus tard, dans un grand nombre de provinces, elle a vaincu la langue turque, même dans la bouche des Turcs, ainsi que la langue albanaise, privée de règles et d’alphabet. La population albanaise, telle qu’elle se trouve actuellement renfermée dans l’état grec, est sur le point d’être entièrement assimilée aux Grecs, comme, dans un contact plus immédiat, les Slaves aussi seraient absorbés par eux. Parmi les hommes de la guerre de l’indépendance, il y en avait de presque toutes les races chrétiennes de l’Orient européen : Colettis était un Valaque du Pinde, Hadji-Christos un Bulgare, Vasso un Monténégrin ; les hardis marins d’Hydra, les indomptables pallikares de Souli, Miaoulis, Tombazis, Botzaris, Tzavellas, appartenaient à la race albanaise, et cependant tous ces hommes, sans distinction d’origine, étaient Grecs de sentimens, d’esprit, de génie : ils combattaient pour la patrie grecque, et ils se seraient tenus pour offensés, si l’on avait contesté leur nationalité. C’est qu’en effet l’hellénisme a conservé jusqu’à nos jours son plus remarquable et son plus précieux apanage, la faculté d’absorption et d’assimilation des élémens étrangers, que son contact sait rendre grecs.

Les philhellènes de 1821 avaient donc raison dans leur enthousiasme, lorsqu’ils croyaient s’intéresser aux véritables descendans des Grecs anciens ; mais ils se trompaient en s’imaginant que ces Grecs étaient ceux de Miltiade et de Périclès. Rétrogradant vers la barbarie pendant quatre siècles de domination turque, le peuple hellène est revenu aux mœurs de l’âge d’Homère. Ce n’est pas en