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de l’ignorance commune, un homme à qui son instruction a valu l’influence prépondérante sur ses compatriotes, ce sera encore un Grec élevé à Athènes. Et chez les personnes qui ont quelque teinture des choses de l’esprit, que trouvera-t-on toujours et partout ? Des livres grecs imprimés à Athènes. On comprend dès lors ce qu’est en réalité ce royaume de Grèce que les diplomates affectent de dédaigner. Autant il est impuissant dans les faits de chaque jour, autant il est puissant sur les âmes et les intelligences. La Grèce d’aujourd’hui n’a ni argent, ni soldats, ni flottes ; mais elle possède une force plus grande et d’une sphère plus haute, une force plus redoutable pour la Turquie : c’est l’université d’Athènes.

L’université d’Athènes est à peine connue des nombreux voyageurs qui traversent chaque année en courant l’antique cité de Minerve. C’est pourtant le plus beau et le plus précieux fruit de l’affranchissement du sol classique des Hellènes. Elle compte parmi ses professeurs des hommes tout à fait éminens, elle peut supporter sans crainte la comparaison avec les meilleures universités allemandes de second ordre ; mais ce qui fait son extrême importance, c’est qu’elle est la seule institution d’enseignement supérieur qui existe en Orient. Chaque année, près de neuf cents jeunes gens, dont plus des deux tiers sortent de l’empire ottoman, viennent y recevoir les notions du droit, de la médecine, des lettres, des sciences et de la théologie. Athènes, comme ville d’enseignement, offre un spectacle unique aujourd’hui dans le monde, et qui rappelle l’université du Paris du moyen âge et de la renaissance, aux temps fameux des écoles de la rue du Fouarre et du parvis Notre-Dame. Comme ceux du Paris d’autrefois, les étudians y jouissent de privilèges qui leur permettent de former une sorte de petite république à part. Comme eux, ils sont turbulens, indociles, souvent gênans pour leurs professeurs et même pour le gouvernement. On voit éclater chez eux ces émeutes universitaires qui tiennent une si grande place dans l’histoire de notre cité parisienne ; mais ils ont la même soif d’apprendre, la même ardeur, la même application, le même héroïsme de l’étude. Combien n’en voit-on pas, fils de pauvres rayas des provinces les plus reculées de la Turquie, à qui leurs familles ne peuvent rien donner pour les aider à vivre, supporter, comme jadis les capets de Montaigu, les plus dures privations, pour arriver à se repaître du pain de l’intelligence ! Il y en a qui se font ouvriers, qui manient la varlope du menuisier ou le marteau du forgeron, et qui viennent avec leurs mains calleuses et leurs habits de travail s’asseoir sur les bancs pour entendre les cours où se développent les hautes spéculations de la philosophie et de l’histoire. D’autres s’engagent comme domestiques, et se réservent dans chaque journée quelques heures seulement pour suivre les