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l’enthousiasme dont elle a été l’objet en 1821. Ce qu’on reproche aux Grecs, sans peut-être y avoir bien réfléchi, c’est de n’avoir pas réalisé un espoir chimérique et recommencé le siècle de Périclès au lendemain de l’indépendance. Le plus grand malheur de ce peuple est que, tout en parlant beaucoup de lui, on ne l’a jamais suffisamment étudié ni compris. Et cependant les races, comme les hommes, gagnent toujours à être connues dans l’exacte mesure de leurs défauts et de leurs qualités, telles que les ont faites leur naissance, leur éducation, les vicissitudes qu’elles ont traversées, les influences qu’elles ont subies.

La faiblesse, nous dirions même l’impuissance matérielle de la Grèce, n’est pas un fait nouveau, conséquence de la dernière révolution. Le royaume hellénique a toujours été hors d’état d’engager avec des chances de succès une guerre contre la Turquie ; depuis qu’il a repris sa place parmi les nations européennes, on l’a constamment vu déchiré par les factions, plongé dans le chaos de sa formation sociale, sans finances et sans armée. Tout impuissante qu’elle est, la Grèce n’en a pas moins été depuis trente ans et n’en est pas moins encore aujourd’hui un des points les plus importans de la politique européenne ; incapable d’enlever violemment une province à la Turquie, elle tient pourtant dans ses mains une des clés de la question d’Orient. Il importe de rechercher les causes de ce phénomène étrange, de préciser quelle est dans l’Orient contemporain la situation morale de la Grèce indépendante, d’étudier le caractère de la nation hellénique avec ses qualités et ses défauts, enfin de jeter un coup d’œil rapide sur le gouvernement qui pendant trente ans a présidé aux destinées de ce pays, car c’est dans le passé seulement qu’on peut trouver les moyens de préjuger l’avenir et de mieux comprendre le présent.


I

Le rôle de la race grecque dans l’Orient contemporain offre une étroite ressemblance avec celui qu’elle y jouait dans l’antiquité. Qu’étaient-ce, au point de vue des ressources matérielles, que les républiques de Sparte et d’Athènes, qui, sans cesse en guerre l’une contre l’autre et troublées de plus dans leur propre sein par des dissensions continuelles, comptaient à peine deux cent mille citoyens chacune ? Ne se trouvaient-elles pas, à l’égard du colossal empire des Perses, dans la même situation que la Grèce d’aujourd’hui vis-à-vis de la Turquie ? Par un sublime effort de patriotisme, elles avaient pu, en s’unissant, repousser l’invasion de Xerxès, comme la Grèce moderne a pu secouer le joug des sultans ; mais la Grèce antique eût été incapable, par ses propres forces, de renverser