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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

repoussé pour le donner à Louise ; j’ai assisté chaque jour au spectacle de leur bonheur, j’ai vécu près d’eux la mort dans l’âme et le sourire aux lèvres, et si je voulais fuir avec vous loin d’eux, ce n’était pas devant le remords, mais devant le péril. Comment il s’est fait qu’au moment du départ mon fatal secret s’est échappé de mon cœur, je ne puis le dire… Vous étiez là, vous avez surpris ma première faiblesse… Dites vous-même si le châtiment n’est pas égal à la faute ! Louise ignore tout et doit tout ignorer. Jamais un mot de moi ne viendra troubler sa vie ni la vôtre. Adieu. Pardonnez si je refuse vos dons : ils seraient trop lourds pour mon cœur, quand le vôtre me repousse… Adieu, vous qui m’avez recueillie, protégée, aimée. Je ne puis croire que vous vieillirez sans moi ; mon courage se brise à cette pensée. »

Je ramassai les billets de banque épars à mes pieds et les joignis à cette lettre. Je choisis ensuite, parmi les caisses toutes préparées pour notre voyage d’Italie, une petite malle où j’entassai du linge et quelques objets de toilette fort simples. De tous mes bijoux, je ne gardai que ma montre ; c’était celle de ma mère : elle était bien à moi. J’avais dans une bourse à part une faible somme prélevée sur mes dépenses de toilette et destinée à mes aumônes particulières ; je la pris pour faire face à mes premiers frais de voyage, car je voulais quitter Paris à l’instant et fuir au plus loin. Je brûlai quelques lettres, quelques papiers sans importance, mais où j’avais tracé, dans de meilleurs jours, bien des pensées sereines, bien des rêves de bonheur ; je fis lentement le tour de cette petite chambre où j’avais vécu si longtemps heureuse, m’arrêtant devant chaque objet, contemplant chaque meuble avec un attendrissement douloureux ; puis j’appelai Pierre. Il prit la petite caisse que je lui désignai. Je parcourus ensuite l’un après l’autre les appartenions du château, disant à chacun un adieu éternel. Dans la chambre de Louise, je m’arrêtai devant un petit portrait aux deux crayons représentant Robert en habit de chasse : un instant j’eus la tentation de détacher ce tableau et de m’enfuir avec mon trésor ; mais non, rien de lui ne m’appartenait. Je sortis lentement, le regardant toujours ; arrivée à la porte, je ne pouvais me décider à la franchir : il me semblait que ses yeux me rappelaient et que ses lèvres muettes s’ouvraient pour prononcer mon nom. Dans le salon, je m’assis une fois encore dans ce fauteuil où j’étais la veille quand il se tenait à mes pieds… Enfin il fallut partir.

Personne ne m’attendait à mon arrivée à Paris. Pierre fit approcher une voiture, et comme il se disposait à monter sur le siège : — Allez de votre côté, lui dis-je, je ne rentre pas à l’hôtel. Il me regarda avec étonnement. — Mademoiselle n’a pas besoin de moi ? Où faut-il faire conduire mademoiselle ?