Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

ôté le pouvoir ; mais je voyais trop bien qu’il possédait mon secret pour tenter de le défendre. Je retirai la main qu’il tenait encore, et je m’en couvris le visage.

— Pourquoi détourner la tête ? reprit-il. Pourquoi me cacher vos pleurs ? À quoi bon nous tromper encore ? Ah ! quel courage vous avez eu ! Pourquoi donc n’avoir pas parlé avant que tout fut irréparable ? Nous aurions été si heureux !… Je vous ai tant aimée !… Si vous aviez su combien je vous aimais, vous n’auriez pas osé ce que vous avez fait. Ah ! cruelle et adorée, à quel dieu inconnu avez-vous sacrifié ma vie avec la vôtre ? Quelle fausse grandeur vous a séduite ?

Il s’était laissé glisser à mes genoux. Moi, je pleurais ; mes larmes s’échappaient sans secousse comme d’une source trop pleine, et tombaient goutte à goutte sur ses cheveux,

— Quand je songe, continua-t-il, que vous allez partir, que je ne vous verrai plus, et qu’à l’abîme qui nous sépare vous allez ajouter le supplice de l’absence, je suis prêt à vous maudire… Le jour où vous m’avez dit que vous en aimiez un autre, j’ai cru qu’une souffrance égale à celle-là ne m’atteindrait plus en ce monde ; mais je me trompais. C’est à mesure que la lumière s’est faite, quand des mots sans suite, échappés au délire, qui n’avaient un sens que pour moi, m’ont mis sur la trace de votre héroïque folie, c’est plus tard, quand j’ai vu votre beauté pâlir dans les regrets, quand votre grandeur et surtout votre faiblesse m’ont été révélées, c’est alors, Madeleine, que j’ai appris ce que c’est que souffrir. Et j’ai dû me taire, j’ai refoulé mon désespoir ; je voulais être digne de vous, le ciel m’en est témoin… Si je parle en ce moment, Madeleine, c’est que mes forces m’ont trahi, c’est que mon courage est vaincu comme le vôtre. Je vous adore et je vais vous perdre… Ah ! laissons une fois au moins nos larmes et nos cœurs se confondre… Madeleine, n’est-ce pas que vous m’avez bien aimé ?

— Robert, par pitié ! m’écriai-je douloureusement, je suis lâche ; mais ne vous faites pas une arme de ma faiblesse pour m’enlever le peu qui me reste de ma propre estime. Laissez-moi quitter cette maison sans remords. Que le souvenir de cette heure ne s’élève pas un jour entre Louise et moi !… J’en appelle à votre honneur…

Je voulais me dégager de son étreinte ; mais il me retenait avec force. — Ne me repoussez pas, disait-il ; mon respect est profond. Vous ai-je jamais offensée par un mot ? Ne me suis-je pas fait violence à chaque minute de ma vie ? N’ai-je pas mis la froideur dans mon regard, l’indifférence dans mon sourire, à tel point que vous avez été jalouse, pauvre enfant ? Oh ! ne niez pas : j’ai tout lu heure par heure, tout entendu soupir par soupir, et chaque jour vous m’êtes devenue plus chère… Laissez-moi un instant à vos pieds ;