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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

drez, je pense, qu’en vous confiant mon secret, je ne vous ai pas donné le droit d’en abuser contre moi.

Il se laissa tomber sur un siége. — Je partirai, dit-il, vous n’aurez rien à redouter de moi.

— Pourquoi partir ? Qu’irez-vous chercher loin de nous ? N’avez-vous pas une famille ici ? N’avez-vous pas une douce et adorable femme, la meilleure, la plus parfaite que vous puissiez rêver ? Et une sœur loyale, Robert, ajoutai-je en lui tendant la main, — une fidèle amie, croyez-le ! Laissez-vous aimer, restez.

— Pour être témoin de votre bonheur, n’est-ce pas ?

— Oh ! m’écriai-je imprudemment. Dieu sait que le spectacle de mon bonheur ne vous offensera sans doute jamais.

— Est-ce possible ?… Vous aimez sans espoir, dites-vous ? Oui, je resterai ; qui sait si l’avenir…

— Non, n’espérez rien, Robert, car, sachez-le, il y a plus de bonheur pour moi dans cette seule attente, dût-elle être éternelle, qu’il n’y en aurait dans toutes les félicités de la terre…

— Assez, assez ! murmura-t-il d’une voix étouffée ; tant de cruauté n’est pas nécessaire. — Et il sortit.

Robert ne revint pas le lendemain. Dans un billet très laconique, où le nom de Louise était assez froidement amené, il écrivit qu’il était malade. Mon oncle alla le voir, accompagné du médecin de la famille ; ils le trouvèrent levé, mais avec un peu de fièvre. Ce malaise, feint ou réel, se prolongea ; mon oncle le visitait chaque jour, mais Robert s’informait à peine de nous et ne parlait pas de nous revoir. Louise commença bientôt à s’inquiéter. Cette froideur subite après tant d’empressement était inexplicable pour tout autre que moi. Mon oncle aussi devint soucieux, et je tremblais que, dans une de ses visites matinales, il n’abordât franchement une explication. Que voulait Robert ? Faire pressentir sa retraite sans doute ? Cette idée, la seule vraisemblable, me torturait. En cette anxiété, je résolus de lui écrire ; forte de mes intentions et de mon dévouement, je me lançai sans hésiter en dehors des usages et des routes battues. « Revenez, lui écrivais-je, Louise vous aime, et meurt de votre absence. Vous avez laissé croître et s’enraciner, sans souci de ce qu’elle en pourrait souffrir, un amour que tout encourageait en elle ; vous n’avez pas le droit maintenant de fuir en emportant la paix de sa jeune âme. » Et je continuai ainsi, écrivant sans ordre tout ce que la tendresse la plus profonde pour Louise pouvait m’inspirer. Cette flamme nouvelle, cette ardeur inconnue que je sentais circuler dans mes veines depuis que j’étais aimée, je la laissai déborder à flots au nom de Louise et pour elle. « Qu’attendez-vous de l’avenir ? disais-je encore. Qu’irez-vous chercher par le