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que leurs ensemencemens ont diminué de beaucoup. Peut-être serait-il juste de dire qu’ils n’ont pas cultivé autant de terrain qu’auparavant ; mais en limitant la culture ils ont pu, grâce au travail libre, l’améliorer considérablement et récupérer ainsi par la qualité ce qu’ils ont pu perdre sur la quantité. Pour l’application des forces mécaniques à l’agriculture, la Russie, dans ces derniers temps surtout, a fait des progrès immenses. En dehors de l’Angleterre, il est peu de pays peut-être qui soient munis d’un plus grand nombre de locomobiles, de batteuses et de moulins à vapeur. Cela est si vrai que l’achat de ces machines à l’étranger a fait sortir de Russie des sommes immenses, ce qui a pesé fort lourdement sur le bilan commercial de l’empire. Nulle part les impôts ne sont aussi modiques qu’en Russie. Si M. Wolowski voulait établir un parallèle entre les impôts d’un contribuable français et ceux d’un contribuable russe, il serait frappé du contraste qui en résulterait tout à l’avantage des Russes. »

Nous avons tenu à reproduire dans ce qu’elle a d’essentiel la réponse du Journal de Saint-Pétersbourg ; chacun peut juger de la puissance des argumens qu’on y développe. Dans notre premier travail, nous avons laissé parler les données officielles ; ici nous avons cédé la parole aux défenseurs avoués de l’administration russe. Que voudrait-on de plus ? Sommes-nous responsable du triste état des choses dont témoignent des chiffres reconnus exacts, ou de ce qu’une défense trop difficile peut laisser à désirer ? Il est vrai que, dans un premier article du 25 février 1864[1], un professeur d’économie politique connu par des travaux estimables, M. Bunge, s’exprime ainsi : « Conclure à l’absence des moyens pour nous faire sortir des difficultés contre lesquelles lutte notre administration financière, n’est-ce pas proclamer hautement la stérilité de son savoir ? » Ce reproche, nous l’acceptons. Oui, notre savoir est stérile pour une pareille œuvre, et nous admirerons l’habileté de M. Bunge, s’il réussit à l’accomplir. Ce sera l’homme de génie attendu par le général Tchevkine, et l’empereur Alexandre II devra se hâter de lui confier le portefeuille des finances.

Dans la multitude d’écrits russes sur la question soulevée par notre étude, c’est toujours le même argument qui reparaît. Personne ne conteste les chiffres, mais on s’attaque aux inductions, et l’on prétend que nous n’avons pas tout dit. Le Journal de Saint-Pétersbourg et M. de Thoerner insistent sur les nécessités qu’imposent à la circulation monétaire de la Russie l’étendue de l’empire, l’absence des voies de communication et l’absence plus complète encore du crédit ; mais tout s’équilibre, et ce triste reflet de la barbarie, qui jette une ombre si épaisse sur la Russie, n’exerce-t-il point aussi quelque influence sur la formation de la richesse ? L’amour-propre national se révolte contre ces paroles : « La Russie est pauvre. » Certes ce ne sont pas des peintures comme celles du Journal de Saint-Pétersbourg qui sont de nature à inspirer une conviction contraire. Dans sa naïveté, l’aveu est instructif : il ne faut point être pessimiste pour éprouver une surprise peu agréable en présence de ces procédés rudimentaires, qui dénotent une société se dégageant à peine des langes de la barbarie : tout

  1. Réponse à M. Wolowski, publiée dans le journal le Nord.