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le langage des fonctionnaires russes les plus considérables ! Ce langage est significatif, on en jugera par un seul exemple, emprunté a une récente correspondance de Saint-Pétersbourg. Il y a un mois à peine, on offrait au général Tchevkine, l’ancien ministre des travaux publics, de le charger de l’administration des finances ; il répondit : « Pour accepter le portefeuille des finances dans l’état de choses actuel, il faut être un homme de génie ou un fou, et, comme je ne suis ni l’un ni l’autre, je le refuse. »

En essayant d’exposer ici l’état réel des finances russes, nous n’étions pas, malgré notre soin scrupuleux de n’admettre que des faits sévèrement contrôlés, à l’abri de quelque inquiétude. Une erreur involontaire, n’eût-elle porté que sur des données d’une faible importance, risquait, auprès d’esprits prévenus, de répandre quelque ombre sur le travail tout entier ; nous dirons naïvement ce que nous avons fait pour éviter cet écueil. Chaque fois que les calculs ne nous semblaient point décisifs, nous avons adopté le chiffre le moins défavorable à la Russie. C’est une faute que de vouloir dissimuler ou abaisser les ressources de ceux qu’on peut avoir à combattre ; c’est une faute non moins grande que d’exalter outre mesure les forces de son pays : on arrive ainsi à créer une fausse sécurité, ou à susciter de téméraires espérances. Rien n’est beau que le vrai, dit le poète ; l’on peut ajouter que rien n’est utile en dehors de la vérité. Aussi devons-nous remercier les nombreux organes de la presse russe qui, au lieu de contester le résultat numérique de nos recherches, n’ont réussi qu’à l’affermir. Ils nous ont délivré de toute appréhension au sujet des données que nous avons recueillies. « Le ton de l’article est modéré, dit le plus compétent des écrivains qui ont pris la plume pour nous répondre, M. de Thoerner[1], les chiffres sont exacts et puisés à des documens officiels ; » mais il ajoute : « Cependant, pour être impartial, il ne suffit point de tenir un langage modéré et de s’abstenir de citer des faits qui pouvaient être facilement contestés. En puisant aux sources officielles des faits et des données qui parlent en notre défaveur (et quel est le pays qui peut se flatter d’en être exempt ?), l’auteur prend soin de passer sous silence tout ce qui peut donner l’explication de ces faits. En relevant ainsi l’état de la Russie seulement d’après les points obscurs, il tend à produire par cette apparente modération une impression d’autant plus désavantageuse. »

Nous connaissons M. de Thoerner, nous apprécions son mérite et sa compétence ; aussi aurions-nous désiré qu’il fît ressortir les points lumineux destinés à éclairer d’une nouvelle splendeur la situation des finances russes. Nous nous serions empressé de rectifier les indications erronées qui auraient pu se glisser dans notre étude. Pourquoi faut-il que tout se borne à un plaidoyer de circonstances atténuantes au sujet de l’émission désordonnée du papier-monnaie, que M. de Thoerner n’approuve point, et à l’annonce d’un surcroît de 8 millions de roubles dans la perception de l’impôt sur l’eau-de-vie en 1863 ? Nous n’avions parlé que des prévisions budgétaires ; quant au résultat final de l’exercice, il nous aurait été difficile de le connaître à Paris dans les premiers jours de janvier 1864. Ce résultat ne suffit

  1. Dans l’Invalide russe.