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nise. Quoi qu’il en soit de ces commencemens modestes des deux sœurs, elles sont aujourd’hui parvenues à une certaine célébrité. Carlotta. Plus grande et plus agréable, possède une voix de soprano fort étendue et d’une flexibilité naturelle que l’art a perfectionnée. Elle réalise sans trop d’efforts les difficultés vocales les plus compliquées, et les sons supérieurs sont aussi justes et presque aussi nourris que les notes de la partie moyenne de son échelle. C’est une artiste d’un vrai talent, mais elle manque un peu de passion. Elle chante en honnête femme qui ne veut pas éveiller de trop fortes émotions sur un public qui l’accueille du reste avec une juste estime. La voix de Barbara au contraire est un contralto fort inégal, dont les deux registres qui composent son clavier sont mal joints. Elle est d’ailleurs moins bien douée au physique que Carlotta, et elle ajoute à ce désavantage un défaut de prononciation qui rend sa voix plus sourde que ne l’a faite la nature. On ne sait vraiment dans quelle langue elle chante, et c’est aussi le reproche qu’on peut faire à Mme Meric-Lablache, qui, par ce défaut d’articulation, affaiblit une partie de l’effet que produirait son talent vraiment dramatique. Carlotta a chanté avec un très grand éclat l’air Belraggio lusinghiero, et dans le duo Eh ben ! elles ont été admirables par la perfection avec laquelle les deux voix s’unissent et se fondent en un accord ravissant. On leur a fait répéter ce duo, et si les autres chanteurs qui contribuent à l’exécution de ce grand ouvrage étaient moins médiocres, la reprise de Semiramide aurait eu plus de succès. M. Agnesi, qui est un Belge, je crois, a été chargé du rôle d’Assur. M. Agnesi, qui a une grosse voix de basse assez étendue,-ne sait pas encore s’en servir, et il a grand besoin d’étudier l’art de phraser, qu’il paraît ignorer. Je mentionnerai seulement le nom d’une cantatrice émérite, Mme Spezzia, qui a débuté dans il Trovatore, où elle a crié tant qu’elle a pu, car sa voix ruinée ne lui permet plus de chanter. Enfin le Théâtre-Italien a repris aussi Marta, de M. de Flottow. Nous l’avons déjà entendue plusieurs fois, cette musique agréable, qui manque absolument de style et d’originalité. Mlle Patti a chanté la fameuse romance de la Rose avec une simplicité d’accent qui a étonné et charmé le public. M. Mario est aussi agréable à voir et à entendre dans le rôle de Lyonnell, et en général l’opéra de M. de Flottow est assez bien interprété.

P. Scudo.


LES FINANCES DE LA RUSSIE[1].


On ne saurait traiter des finances de la Russie sans s’exposer à de vives réponses, et notre modération même en pareille matière a été présentée comme suspecte. À quelles amères critiques ne faudrait-il donc pas s’attendre, si, au lieu de se contenter de l’éloquence des faits, on empruntait

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1864.