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la guerre ses réclamations et les nôtres. Nous aussi, l’année dernière, nous avons commis une fauté en faisant une grande démonstration contre la Russie sans nous être antérieurement assurés de l’assistance active de l’Angleterre. Nous avons eu le tort de croire que l’alliance anglaise nous viendrait avec le temps, grâce au développement des faits et à la faveur des incidens. Quand arriva le moment de conclure, les incidens nous avaient fait défaut, et, après avoir commis la généreuse imprudence de prendre l’initiative diplomatique des négociations polonaises, nous fûmes obligés d’accepter à notre compte un grand échec et de couvrir notre retraite par la soudaine proposition du congrès universel.

La chance a complètement tourné aujourd’hui. Les Anglais se sont mis, à propos du Danemark, dans un embarras semblable à celui où nous nous trouvions, il y a quatre mois, à propos de la Pologne. Il était manifeste pour l’Europe entière qu’entre eux et nous une alliance active immédiate était impossible. Cette conviction générale a fait beau jeu aux petites cours allemandes, à la Prusse et à l’Autriche. Quand les deux puissances occidentales sont séparées, lorsqu’elles sont coupées, le reste de l’Europe peut passer au travers, et l’on se permet bien des fantaisies. C’est donc en vain que lord Russell a pris en main la cause du Danemark ; c’est en vain qu’il a accumulé les démarches, les représentations, les propositions. À Francfort, à Berlin, à Vienne, même à Dresde, on s’est ri de lui. L’Allemagne, bien sûre que la France ne remuerait pas, s’est sentie émancipée, s’est jetée dans l’action avec une rare gaillardise, et a montré à l’Angleterre le cas que l’on fait dans le monde de l’autorité morale des conseils lorsqu’ils ne doivent pas être soutenus par un supplément de force matérielle. La diplomatie anglaise a été couverte de confusion : elle est poursuivie par les sarcasmes des cours secondaires d’Allemagne ; elle est narguée par M. de Bismark. C’est une déroute. Voici que les Grecs et les Turcs s’en mêlent à leur tour et se demandent à quoi sert l’amitié d’une puissance qui n’est bonne qu’à compromettre ses alliés et non à les défendre. Par contre, c’est de l’attitude de la France que l’on commence à s’inquiéter. De Vienne à Berlin, dans les petites cours de la confédération, quand il s’agit de prendre un parti, on s’interroge sur nos intentions. « Que fera la France ? » c’est la question qui est sur toutes les lèvres. Notre position extérieure, un peu dérangée par la conclusion de la négociation polonaise, est donc bien rétablie. Nous avons eu notre revanche, nous avons rendu la pareille à l’Angleterre, nous sommes quittes envers elle ; mais ne nous paierions-nous point d’une puérile et vaine satisfaction, si nous demeurions trop longtemps à nous amuser des déboires de la diplomatie anglaise ? En vérité, les Anglais ont remporté une bien utile victoire sûr nous, lorsqu’ils ont dit : Tant pis pour la France, s’il n’y a plus de Pologne ! Et nous nous glorifierions d’un beau triomphe, en disant à notre tour : Tant pis pour l’Angleterre, s’il n’y a plus de Danemark ! Une politique de petites niches peut-