Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rope ne peuvent pas même essayer de se justifier par l’illusion d’une politique à système. Que veulent en effet la Prusse et l’Autriche ? Interrogées par les diplomaties de France et d’Angleterre sur la portée de leur alliance, elles protestent que cette alliance n’est qu’un fait accidentel et limité. Elles nient que leur union ait un objet qui dépasse leur querelle avec le Danemark. Leurs représentans affirment qu’elles ne sont liées que par une convention militaire ; ils se plaignent d’ailleurs que cette convention ait été rédigée précipitamment, qu’on ne l’ait point combinée avec attention, qu’on ait négligé d’y insérer des clauses exigées par la plus ordinaire prudence. Nous n’avons pas de peine à croire à ces explications rassurantes des diplomates autrichiens et prussiens, nous ne pensons pas qu’aucun projet menaçant contre la France ou l’Angleterre ait pu se mêler à leurs arrangemens ; mais ont-ils au moins des vues plus nettes dans leur politique envers le Danemark ? Nous en doutons. Les ministres de Prusse et d’Autriche sont fort embarrassés quand on les presse sur ce point. Ils n’ont rien de précis à demander au Danemark ; ils accordent l’intégrité de la monarchie danoise, ils reconnaissent la succession établie par le traité de 1852, ils ne vont même pas jusqu’à demander pour le Slesvig et le Holstein la substitution du lien personnel au lien réel ; ils n’ont pas l’air de vouloir sortir des vagues engagemens de 1852 tels qu’ils sont exposés dans la dépêche du prince Schwarzenberg dont nous avons signalé précédemment les points principaux. À quoi bon alors cette guerre sanguinaire ? Quelle figure feront l’Autriche et la Prusse lorsqu’il faudra enfin s’asseoir pour négocier autour de la table dont lord Palmerston parlait l’autre jour ? Après avoir dépensé leurs trésors et fait tuer leurs soldats, elles seront réduites à reconnaître les droits du Danemark, elles seront serrées dans le cercle des engagemens diplomatiques qu’elles ont contractés en commun avec la France et l’Angleterre. Cette perspective, vers laquelle les cabinets de Prusse et d’Autriche marchent les yeux ouverts, n’est-elle pas dès à présent la condamnation de leur entreprise, et ne leur présage-t-elle pas, en fin de compte, une humiliante confusion ? Il faudra peut-être alors chercher ailleurs le mot de la conduite des deux puissances allemandes ;. On découvrira peut-être qu’en ayant l’air de combattre le Danemark, au fond c’était à leurs propres confédérés, aux états moyens et petits de l’Allemagne, qu’elles faisaient réellement la guerre. C’est à ces états qu’elles voulaient donner une leçon ; elles entendaient réprimer les velléités d’initiative et d’indépendance des cours secondaires ; elles voulaient leur apprendre une bonne fois que les petits cabinets allemands n’ont pas voix dans les grandes transactions européennes. Tel sera en effet, suivant toute vraisemblance, et si quelque diversion imprévue ne se vient mettre à la traverse, l’enseignement que la question dano-allemande aura donné encore une fois aux états secondaires ; mais valait-il bien la peine de jouer si gros jeu pour arriver à un pareil résultat, et ce résultat ne jettera-t-il pas au sein de la confédération germanique de nouveaux fermens de discorde et de désordre ?