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mais le cérémonial des cours, observé rigoureusement alors, exigeait que l’héritier de la couronne reçût une éducation tout à fait séparée. Gustave rencontrait d’ailleurs dans son frère Charles une faiblesse de caractère et d’esprit qui lui rendit toujours son commerce peu sûr ; il n’eut aussi que plus tard des rapports de confiance mutuelle et d’amitié avec le prince Frédéric et la princesse Albertine. Jusqu’à l’âge de quatre ans, il fut confié à une gouvernante qui observait avec scrupule les traditions de cérémonial dont l’époque de la souveraineté royale avait laissé le souvenir. Au sortir de la main des femmes, le soin de son éducation fut revendiqué par les états, à qui la constitution de 1720 l’attribuait. C’était le moment où la diète, jalouse d’un pouvoir qu’elle sentait éphémère, exerçait une domination oppressive. Après avoir asservi la presse au nom d’une fausse liberté, elle voulut prendre en mains l’éducation publique, elle se plaignit de ce que les idées monarchiques servissent encore de base à l’enseignement des écoles, et une loi prescrivit partout une lecture assidue de la constitution de 1720 dans tous les tribunaux, et du haut des chaires dans toutes les églises. On devait l’expliquer selon l’esprit et selon la lettre dans les écoles et académies du royaume ; un livre officiel fut préparé pour diriger ce nouvel enseignement, et, jusqu’à la publication de ce manuel, rien ne pouvait être imprimé sur ce sujet. Le premier dogme imposé était l’irresponsabilité des états ; sur cette base, on luttait d’orthodoxie, et un évêque établissait en principe, pendant la diète de 1751, que l’idée que les états pourraient faillir était contraire à la loi fondamentale du royaume. L’éducation du prince royal n’importait pas moins que l’éducation publique, car il fallait se préparer un souverain docile ; cette importante mission fut confiée par les états successivement à deux gouverneurs, au comte Tessin et au comte Scheffer, tous deux chefs du parti des chapeaux. Voyons quelles idées et quelles influences ils appelèrent à leur aide, Tessin surtout nous appartient, non pas seulement à cause de son rôle principal auprès de Gustave, mais parce qu’il s’était fait le brillant élève de notre XVIIIe siècle, et qu’il a lui-même assez écrit en français pour être compté comme un des représentans actifs de notre littérature à l’étranger.

Charles-Gustave Tessin était le troisième et dernier représentant d’une famille qui brilla, en Suède et, on peut le dire, en Europe, d’un très vif éclat. Son aïeul, qu’on appelle souvent le premier Tessin, avait été célèbre architecte de la cour suédoise sous la reine Christine ; un reproche pèse toutefois sur sa mémoire : c’est lui qui modernisa, comme on dit à Rome, les monumens gothiques légués à la Suède par son moyen âge. Le second Tessin avait acquis, notamment par la construction du château royal à Stockholm, une telle renommée au dehors que Louis XIV le recevait à Versailles comme un