Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consacrée, tient à l’antiquité par ses racines ; elle en a la saveur et le parfum que nous sentons, que nous goûtons sans bien les définir et comme une jouissance familière. Ces figures, ces images, ces allégories qui circulent dans le langage pour lui donner de l’éclat, de la transparence et du mouvement, sont des emprunts faits au génie antique : hors de l’éducation classique, le sens en échappe. L’éducation classique unit pour un temps ce qui doit être plus tard divisé, fournit un diapason commun contre les discordances de la vie. Elle a un autre titre supérieur encore : si elle est la clé de la langue, elle est celle aussi des idées et des sentimens où vient se résumer l’expérience des siècles, et qui sont le patrimoine respecté des peuples mûrs pour la civilisation.

Autant que possible mettons ce dépôt hors d’atteinte, préservons-le de ce qui pourrait l’altérer. Si l’enseignement professionnel est, comme on le dit, un besoin qui s’impose, qu’on ménage à cet enseignement un traitement à part, sans le confondre avec ce qui est éprouvé. On a vu quelles voies cet enseignement se fraie de l’apprenti à l’ouvrier, de l’ouvrier au contre-maître, du contre-maître à l’ingénieur, par des moyens directs et naturels : il n’est ni aussi dépourvu ni aussi insuffisant qu’on le représente ; il existe déjà, sous des formes variées, dans les cours du soir, les cours du dimanche, les cours spéciaux ou supérieurs ; il prendra une force de plus dans les bibliothèques communales, quand elles se seront multipliées sous l’influence de cœurs généreux auxquels on ne saurait trop applaudir. De ces institutions, les unes sont anciennes, les autres récentes ; aucune n’a porté tous ses fruits. Au fond, ce qui manque aux populations, c’est moins le moyen que la volonté de s’instruire ; à quoi serviraient de nouveaux cadres, s’ils ne devaient pas se remplir ? L’urgence n’en est pas démontrée, et on peut sans risque souscrire à un ajournement. En attendant, il est du devoir de ceux qui tiennent en honneur les grandes études de les défendre contre ce qui les affecte ou les menace : nous leur devons ce que nous sommes ; elles nous mettent en communion avec les esprits cultivés du monde entier ; elles répondent à un goût profond même chez les peuples les plus affairés, les plus avares de leur temps, témoin les Anglais, si épris de l’antiquité grecque et latine. Ce n’est pas que ces grandes études aient manqué de détracteurs : les puissances établies en ont toujours. On les accuse de trop abonder dans les jouissances de l’esprit et d’aller jusqu’aux régions où il s’égare, de faire à l’imagination une place qui serait mieux remplie par les réalités. Qu’on laisse agir le temps et le courant des intérêts ; ils auront bientôt emporté ce travers, et le terrain deviendra libre alors devant ces générations positives dont il est au moins inutile de hâter l’avènement.


Louis REYBAUD, de l’institut.