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et, lui parlant la première d’une voix rauque et mal assise : — J’ai entendu, lui dit-elle, le rapport qui vient de vous être fait… J’entends bien des choses et je vois bien des choses qu’on veut me cacher… Je sais maintenant pourquoi vous m’avez fait faire le voyage où nous allons tous trouver la mort… Ma nièce, que je suis allée surprendre dans son premier sommeil, n’a pu me rien dissimuler de ce qui s’est passé aujourd’hui… Je m’en veux d’avoir prêté l’oreille à vos paroles courtoises et de n’avoir pas deviné le piège que vous me tendiez… Mais ce mariage, objet de toutes vos convoitises, savez-vous au fond ce qu’il est ? Vous doutez-vous du discrédit qu’il jetterait sur ce nom dont vous êtes déjà si fier et que vous espérez voir grandir encore ?… Non, n’est-ce pas ? vous ne savez rien ?

— Rien au monde, répliqua M. Elliot, la regardant plus fixement que jamais.

— Je vais donc vous le dire tout bas, reprit-elle penchée vers lui, mais se dérobant toujours à ce regard qu’elle semblait ne pouvoir supporter. Il l’écoutait silencieusement, de plus en plus grave à mesure qu’elle parlait…

— Qu’en dites-vous à présent ? continua-t-elle haussant la voix. Si quelque merveilleux hasard nous tirait d’affaire, laisseriez-vous s’accomplir cette union ?

— Pourquoi pas ? demanda M. Elliot.

— Je croyais que votre plus grand souci était la carrière politique de votre fils.

— Vous ne vous trompez pas ; mais encore…

— Avec ceci autour du cou, elle promet d’être brillante !

— Là-dessus les avis sont libres ; nous pouvons avoir chacun le nôtre… Mais si vous supposez que nous devons périr dans une heure, à quoi bon me révéler ce secret ?

— Parce que je vous hais, parce que je vous ai toujours détesté !

— Toujours ? demanda M. Elliot, se laissant aller à je ne sais quelle ironique réminiscence.

— Non, répliqua-t-elle avec emportement. Il fut un temps où je vous aimais… Comment osez-vous me le rappeler ?… J’ai eu le tort de laisser voir cet amour dédaigné… Vous en avez ri, vous et Jenkinson… Bien hardi qui réveille de pareils souvenirs !… Oui, c’est parce que vous n’avez pas une heure à vivre, c’est pour empoisonner vos derniers momens que je suis venue vous dire ceci.

— Dieu vous pardonne comme je vous pardonne moi-même ! s’écria le vieillard. Et au moment où il la vit se diriger vers la porte : — Voyons, Maria, reprit-il, en mémoire de cette affection qui n’est plus, ne nous ferons-nous pas d’autres adieux ?…

Cet appel amical ne fut pas tout à fait perdu. La tante Maria,