Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tout intérêt, ne finisse de guerre lasse, cédant à l’oppression, à la tyrannie obstinée de sa tante, par épouser un affreux matamore.

— Allons donc !… Quelle apparence ?… Vous êtes fou, mon bon Charles.

— Fou si vous voulez, mais fou véridique. La tante Maria est, je ne sais comment, dans la dépendance de ce drôle d’Hertford, sur qui, d’autre part, elle exerce une influence considérable… Une ligue offensive et défensive existe entre eux, et le mariage dont je vous parle est l’objet de leurs efforts communs.

— Si cela était…

— Cela est, mon cher Austin… Faites fond sur mon amitié pour ne pas me tromper à cet égard… Je tiens la chose de très bonne source.

— Qui vous a conté ces histoires ?

— Personne et tout le monde. Vous ne vous doutez pas encore de ce qu’on peut apprendre en prêtant l’oreille, sans trop se montrer attentif, aux commérages de mesdames les douairières… Un fil par ci, un fil par là, l’écheveau se débrouille peu à peu… Vous ignoriez, n’est-il pas vrai ? que miss Maria Hilton, plus jeune alors de vingt ans, suivit autrefois jusque dans l’Inde un cadet dont elle prétendait faire son mari, et qui n’a pas voulu d’elle ?… Devinez-vous de qui je veux parler ?… Vous ne savez pas davantage que, voyant sa cause perdue à Calcutta, elle essaya plus tard, revenue à Londres, de déterminer certain veuf, votre très proche parent, à convoler avec elle en secondes noces,… demandez plutôt à M. James Elliot !… Allez, allez, grâce aux douairières et à ce qu’on pourrait appeler « les chroniques du moyen âge, » je connais aussi bien les vues actuelles de cette femme égoïste et sans principes que son passé légèrement équivoque… C’est pour cela que je vous adjure de sauver d’un mariage indigne, auquel la réduiront peu à peu de continuelles obsessions, l’aimable enfant qu’un sort injuste a placée sous sa tutelle…

Austin ne répondit que par un regard, mais ce regard en disait long. Le soir même, il écrivait à son père pour lui expliquer la situation. « Vous êtes, lui disait-il, le subrogé-tuteur de miss Hilton, vous devez mieux que moi savoir comment on peut la mettre à l’abri d’une odieuse intrigue. N’importe cependant : si les examens qui approchent ne me retenaient ici, je serais déjà sur la route de Londres, et je ne m’en fierais à personne pour trancher définitivement la question. L’idée seule de voir Eleanor devenir la proie de ce mécréant me donne le vertige, et fait trembler ma plume dans mes mains… Veillez sur elle, mon père, comme sur une fille chérie. Mettez-moi bien exactement au courant de la situation qui lui est