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un égoïste bizarre et généralement peu goûté, homme de sens d’ailleurs, orateur précis, statisticien correct, « et qui, disait-on, avait refusé un portefeuille. » Ce fut alors que, las de n’avoir personne à aimer et de n’être aimé de personne, il jugea convenable de se remarier. Sa seconde femme fut encore une Française, cousine de celle qu’il avait perdue jadis et fille d’un ancien émigré. Deux enfans, Eleanor et Robert, naquirent de cette union, contractée sous de meilleurs auspices que la première.

Lorsque nous avons dit que pas un ami ne restait à George Hilton, nous aurions dû faire une exception en faveur de James Elliot, le dernier de ces trois condisciples qui s’étaient séparés en 1789 à la porte de Christ-Church. Celui-ci, avec moins d’énergie et de talent que son camarade, avait fini par conquérir une position sociale plus élevée. Rentre tout d’abord à l’université, où les émolumens de sa studentship, grossis d’un revenu modique, lui permirent de vivre très à l’aise, il dut cependant refréner le penchant impérieux qui l’entraînait vers la carrière politique ; mais il entretenait une correspondance suivie avec ceux de ses anciens condisciples qu’une fortune plus solide ou des protections mieux assises avaient appelés au maniement des affaires publiques. Aussi, du fond de sa retraite studieuse, suivait-il toujours avec un vif intérêt la marche des événemens. Un jour, l’idée lui vint de donner son avis sur une des questions qui préoccupaient l’opinion et partageaient les esprits : il le consigna dans un pamphlet de quelques pages, anonyme comme le sont tous les pamphlets, mais qui, venant à propos et savamment relevé par tous les artifices du style, produisit une vive sensation. Ceci lui parut charmant, et il saisit la première occasion de revenir à la charge. Peu à peu son talent de publiciste se développa et mûrit. On se demanda quel était l’auteur de ces mordantes satires, empreintes du torysme le plus pur, et comme M. Jenkinson (devenu lord Hawkesbury depuis 1796) était le seul homme d’état qui s’y trouvât constamment épargné, on ne manqua pas de les lui attribuer ; mais l’écrivain pseudonyme (il signait Béta) ne manqua point de rectifier cette erreur, et, — probablement avec la permission de lord Hawkesbury, — de le comprendre parmi les victimes des pamphlets qui suivirent. Ceci n’empêcha pas lord Liverpool, en 1808, d’offrir à son vieil ami et correspondant James Elliot, — avec le consentement de tous ses collègues, — la place d’inspecteur des bancs de sables et sables mouvans : admirable emploi qui, sans donner trop de souci, rapportait quinze mille bonnes livres sterling par année. Quand Elliot devint ainsi un des fonctionnaires de l’état, il avait quarante ans sonnés, et ne savait pas le premier mot de la besogne à laquelle on l’appelait ; mais ses habitudes laborieuses et