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et d’une population égale, Lucerne, Zug, Uri, le Tessin, Fribourg et le Valais, n’en comptent que 106. Je n’ai point à rechercher les causes de cette différence, je me borne à la constater. L’Académie des sciences de Paris ne compte que huit associés étrangers ; ce sont les plus grands noms du monde savant, et ce titre est des plus enviés. M. Alphonse de Candolle, publiant les mémoires de son père, a fait dans une note la statistique de ces associés étrangers suivant leur patrie ; il trouve que c’est la Hollande, la Suède et la Suisse qui proportionnellement ont fourni le plus grand nombre d’associés à la classe des sciences de, l’Institut de France, et sa conclusion mérite d’être citée[1]. « Pour le développement des hommes qui étendent le domaine de l’esprit humain et sortent d’une manière incontestable de la moyenne des savans, il faut la réunion de deux conditions : 1° une émancipation préliminaire des esprits par une influence libérale religieuse, comme la réforme au XVIe siècle, ou philosophique comme la France et l’Italie au XVIIIe ; 2° un état qui ne soit ni l’absolutisme d’un seul, ni la pression et l’agitation d’une multitude. Les grands travaux intellectuels ne s’exécutent ni sous les verrous ni dans la rue. En d’autres termes, et pour abandonner le style figuré, le despotisme n’aime pas les questions abstraites ni l’indépendance d’esprit des savans. La démocratie tient moins à avancer les sciences qu’à les répandre : elle fait du même homme un militaire et un civil, un orateur et un professeur, un magistrat et un homme d’affaires ; obligeant et sollicitant tout le monde à s’occuper de tout, elle arrête le développement des hommes spéciaux. Il est donc naturel que les grandes illustrations scientifiques surgissent principalement dans les époques de transition entre ces deux régimes, l’absolutisme et la démocratie. » Cette conclusion est la mienne ; avec quelques modifications, elle s’applique aussi bien à de petits cantons qu’à de grands états.

J’ai essayé de peindre la physionomie d’une session de la Société helvétique dans une haute vallée de la Suisse. En 1864, à Zurich, cette physionomie ne sera plus la même : elle varie suivant les lieux et les temps. Si j’ai fait naître dans l’esprit de quelques lecteurs l’envie d’assister à l’une de ces réunions, si d’autres se sont convaincus de l’utilité de ces sociétés libres, ouvertes à tous, nomades comme le naturaliste lui-même, mon but est atteint : j’aurai travaillé pour l’avenir.


CHARLES MARTINS.

  1. Mémoires et souvenirs d’Augustin Pyramus de Candolle, publiés par son fils.