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le meilleur endroit pour les serrer serait peut-être votre corsage. — Tiens, oui, donne. » Et le garçon aussitôt plonge sa main dans le nid et en tire quatre oiselets. « Bon Dieu ! s’écrie Mireille en tendant la main, oh ! la gentille nichée ! oh ! les jolies têtes bleues !… Et, blottie dans le sein de la jeune fille, la couvée croit qu’on l’a remise au fond de son nid. »

Cet amour entre une riche héritière et le fils d’un pauvre vannier sera traversé par trois prétendans : il y a d’abord le berger Alari, « qui possède mille bêtes à laine ; on dit aussi qu’il a neuf tondeurs qui travaillent pour lui pendant trois jours. Je ne fais qu’indiquer une charmante description où le poète a peint ce mouvement de la campagne si propre à féconder l’imagination. « Voilà Mireille qui va et vient, se dit le pâtre ; oh ! Dieu ! l’on m’a dit vrai, ni dans la plaine, ni sur les hauteurs, ni en peinture, ni en réalité, je n’en aurai vu aucune qui aille à la ceinture de cette jeune fille pour les manières, la grâce et la beauté. » Quand il fut devant elle, il lui dit d’une voix tremblante : « Pourrais-tu me montrer un sentier pour traverser les collines ? Sinon, jeune fille, j’ai peur de ne pas en sortir. — Il n’y a qu’à prendre le droit chemin… Voyez, répondit la fille des champs, vous enfilez ensuite le désert de l’Iremale… — Ah ! répondit le pâtre, si j’avais l’heur que tu acceptasses ma livrée, je t’offrirais non pas des bijoux d’or, mais un vase de buis que j’ai fait pour toi. — En vérité, répondit Mireille, votre livrée tente la vue ;… mais mon bien-aimé en a une plus belle,… son amour, pâtre ! — Et la jeune fille disparut comme un lutin. »

Le second prétendant est Veran, le gardien de cavales. « Il venait du Sambuc, où il possédait cent cavales blanches… Un jour que Veran parcourait la Crau jusqu’auprès de Mireille, dont il avait entendu louer la rare beauté, il y vint fièrement, avec veste à l’arlésienne longue et blonde, et jetée sur l’épaule en guise de manteau… Lorsqu’il fut devant le père de Mireille : — Bonjour à vous et bien-être aussi ! je suis le petit-fils du gardien Pierre. —-J’ai connu ton aïeul, et certes j’avais avec lui une amitié de longue main… — Ce n’est pas tout, dit le jeune homme, et vous ne savez pas ce que je veux de vous… Les gens de Crau qui viennent au Sambuc m’ont parlé souvent de votre Mireille, dont on m’a fait un portrait qui m’inspire le désir de devenir votre gendre. — Veran, répondit le père, puissé-je voir cela, car le rejeton de Pierre ne peut que m’honorer ! — Puis, levant les mains au ciel, Ramon ajouta : — Pourvu que tu plaises à la petite,… car, étant seule, elle est la bien-aimée… » Sur cela, il appelle sa fille, et lui conte vite ce qui se traite. Pâle, tremblante d’appréhension, elle lui dit : — « À quoi pense votre sainte intelligence pour vouloir m’éloigner de vous si jeune ? La mère de Mireille approuve ces paroles, et le gardien, en souriant : — Maître Ramon, répond-il, je me retire, car, je vous le dis, un gardien camarguais connaît la piqûre. »

Un troisième prétendant sera le mauvais génie qui brisera la destinée