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certaines de son dire, ils restèrent encore trois jours avant de mettre le pied dans la caverne. Alors enfin ils s’y risquèrent et y dépouillèrent les morts.

Peu de temps après, et pendant que les beys turcs étaient encore campés à Melidhoni, six chrétiens visitèrent la grotte. Pendant que trois d’entre eux restaient à faire le guet au dehors, les trois autres pénétrèrent dans le souterrain. Deux sur ces trois avaient, un mois plus tôt, déposé leurs femmes et leurs enfans dans cet asile, pensant les mettre ainsi à l’abri de tout danger et de toute injure. On peut imaginer ce qu’ils ressentirent quand ils retrouvèrent étendus sur le sol, abandonnés nus et sans honneur, les cadavres déjà presque méconnaissables de ces êtres chéris auxquels ils n’avaient pas cru dire adieu ! Le saisissement fut tel que ni l’un ni l’autre ne purent s’en remettre, et qu’ils moururent tous deux, l’un au bout de neuf, l’autre au bout de vingt jours. Quand les Grecs, vers la fin de cette année 1822, furent redevenus maîtres de la province, ils firent célébrer dans la grotte même le service funèbre, et pour mieux perpétuer le souvenir de la barbarie turque, ils laissèrent les os des morts sur le sol où ils reposaient. Beaucoup d’entre eux se voient encore, déjà collés au sol par la pierre qui se forme autour d’eux, et qui bientôt les dérobera entièrement aux regards.

Encore tout émus de ces récits, que nous faisaient les fils et les neveux des victimes, nous quittâmes Melidhoni pour aller chercher parmi d’assez âpres chemins les ruines d’Axos, dont l’emplacement est encore indiqué par un petit village qui porte le même nom. Elles présentent peu d’intérêt ; il y a plus de profit à visiter, dans le même district, celles d’Eleutherna. La ville antique était située, comme la plupart des villes de la Crète, assez loin du rivage, au-dessus de la plaine, à l’entrée des grandes montagnes. Elle occupait une sorte de promontoire entre le confluent de deux vallées. Un étroit plateau porté par de hauts rochers formait l’acropole. Plus bas, sur des terrasses qui descendaient aux ravins, s’étendait la ville. Ici, comme à Polyrrhénie, comme à Aptera, ce qui frappe le plus les yeux et l’imagination, ce sont les travaux exécutés par les anciens habitans en vue de prendre leurs mesures contre la sécheresse du climat et de se défendre contre la soif. Sous la citadelle s’étendent deux grandes citernes creusées dans le roc ; le plafond en est supporté par d’énormes piliers carrés, taillés, eux aussi, dans la pierre vive. Ces grands réservoirs ont chacun environ vingt mètres de long sur dix de large et huit de haut ; il y avait là de quoi abreuver pendant des mois une ville assiégée. Tout avait d’ailleurs été disposé pour qu’une pluie d’orage pût remplir en quelques heures ces spacieuses cavités ; on ne s’était pas contenté d’y précipiter par des ouvertures verticales toutes les eaux qui tombaient